Ma chambre étant bien vide puisque je n’avais toujours pas de colocataire et mes trucs n’étant toujours pas déballés, éparpillés dans la pièce dans un désordre que ma mère aurait qualifié de titanesque, je m’étais déjà lassée de cette pièce. La seule chose que j’avais eue envie de déballer, c’était mon étui à crayon et mon journal. En fait, je n’avais rien trouvé de mieux à faire que de m’apitoyer sur mon sort au fil de ma plus.

Ça n’est pas bon pour toi de penser, Charlotte, me suis-je surprise à penser. J’avais besoin de rencontrer des gens et de ne pas trop penser à Gavin. Je sais que Montréal est ce qui mettra fin à notre relation. Après tout, nous ne fréquenterons même pas la même université. Il ne m’a toujours pas téléphoné et ayant espionné attentivement sa page Facebook et son Twitter, j’ai la vague impression que plusieurs des personnes – en fait que l’entièreté des gens qu’il a rencontrés – sont de genre féminin. Je comprends maintenant ce qu’il peut vouloir dire par ‘occupé’ quand je lui ai envoyé des SMS. Il ne s’agit pas de cours, mais bien de filles avec qui il ne doit pas se gêner pour flirter pour me fuir autant…

Bref… Le parc est beau. Les gens se promènent ici et là. Beaucoup semblent se connaître. Ils discutent entre eux, fumes des clopes en marchant dans les allées. D’autres sont plus solitaires, se concentrent sur la lecture de plusieurs bouquins qui me sont familiers, assis sur des bancs. Ou encore sont étendus dans l’herbe, la musique dans les oreilles. Il fait beau et les étudiants, ayant presque tous fini les cours, paressent à l’extérieur comme n’importe quelle personne normale en cette journée. C’est qu’il faut dire que les salles de classes, les dortoirs et les couloirs de l’école sont assez monotones.

J’avais été invitée à participer à un tour guidé de l’université avec cette Miss Parfaite qui semblait trop souriante, une fille de comité des étudiants, je crois… C’était un tour du campus conçu pour les nouveaux venus. Cette fille-là pourrait nous aider à trouver nos classes, nous indiquerait les restaurants que l’on retrouvait sur le campus, les bibliothèques et les salles communes, mais il se trouve qu’était plus ou moins intéressée par cette visite. Je préférais me débrouiller par moi-même. Quand je cherche quelque chose, je sais m’arranger.

Après un moment de marche solitaire, j’ai trouvé un banc de parc isolé et je me suis mise à contempler les gens qui fréquentaient le parc. C’étaient tous des gens bien normaux. Des gens que je ne connaissais pas. Il y en avait des tonnes. J’ai alors décidé de retrouver la seule chose que je connaissais dans ce grand monde inconnu : la musique dans mon lecteur. J’ai branché mes écouteurs dans mes oreilles et je me suis enfermée dans ce monde qui me plaisait et qui me permettrait d’oublier tous les problèmes qui taraudaient mon esprit.

Ma chambre était placée, Miranda s'en était occupé avec soin, en suivant mes indications quant à mes préférences et en attendant mon approbation pour chacune des choses qu'elle plaçait. Comme j'étais 'handicapé', l'université me donnait droit à une chambre à moi seul avec une salle de bain personnelle qui était adaptée à mes besoins. Miranda est là pour m'aider en tous temps, mais je n'aime pas sa présence.

C'est une femme dans la quarantaine qui est toujours là pour aider les autres. L'hôpital l'a envoyée chez moi alors que je vivais en appartement pour qu'elle puisse s'occuper de moi. Pour qu'elle puisse m'aider à m'allonger dans mon lit, à me lever le matin ou à monter dans la baignoire. Bref, je me sens comme un petit vieux avec sa garde-malade. Elle sait parfaitement que je ne l'apprécie pas. J'aimerais bien lui expliquer que ce n'est pas elle que je n'aime pas, mais la manière dont elle me fait sentir. Je me sens comme un grand-père dans un foyer pour personnes âgées. Pour un homme de vingt-deux ans, le feeling est tout simplement horrifiant.

J'ai beau lui expliquer que cet endroit adapté pour moi sera parfait, elle tenait absolument à aller s'entretenir avec le directeur. Au début, elle a insisté pour que je sois présent, mais j'ai besoin d'air, je n'en peux plus de me faire trimballer comme un chien.

Aussi me suis-je servi de mes muscles pour me transférer de mon lit à mon fauteuil roulant. On m'avait souvent demandé si je voulait un déambulateur avec un genre de moteur pour ne pas que j'aie besoin de pousser sans cesse sur les roues, mais je n'en ai pas envie. Cela signifierait pour moi de perdre le peu de dignité et de mobilité qu'il me reste.

Le parc m'a semblé être une idée merveilleuse pour passer un peu le temps en cet après-midi ensoleillé. J'aurais dû y penser à deux fois avant de m'aventurer seul dans le parc... Heureusement que le terrain du campus est un terrain assez plat, puisque j'ai encore du mal à me pousser dans des côtes...

Seulement, impulsif que je suis, j'ai voulu aller m'installer dans un coin, à l'ombre d'un arbre. Sauf que je n'avais pas pensé à l'herbe et cela ne prit que quelques poussées pour que mon fauteuil ne soit plus capable de bouger de millimètre.

- Merde! Mais ce que je peux être idiot !

Je jurais, tentant de me libérer, de reculer, mais ma prison ne voulait rien savoir...

La voix de mon chanteur préféré m'emplissait les oreilles. J'étais assise sur le banc, les genoux repliés sous le menton. Voir autant de gens dans un même endroit me rendait perplexe. Je ne sais pas trop ce que je faisais en réalité... Peut-être attendais-je que l'une de ces personnes attire mon attention plus qu'une autre.

Je promenais mon regard dans la foule. Des pimbêches en costumes de cheerleader marchaient dans l'herbe pas trop loin, un groupe de gens vêtus un peu à la style hippie écoutaient dans la musique sous un arbre pas trop loin. À une table de pique-nique se trouvaient deux ou trois gamer qui jouaient sur leurs consoles, des filles bavardaient en marchant, sac à dos sur l'épaule. Et un gars dans un fauteuil roulant qui semblait se débattre avec un problème évident : son incapacité à dégager son fauteuil de l'herbe.

Bref, je ne sais pas quelle idée a pu lui passer par la tête, ces roues en caoutchouc, c'est pas du tout terrain, mais bon... Je l'observe jurer quelques instants avant de fourrer mon lecteur de musique dans mon sac et de m'approcher lentement de lui.

- Heu... Salut. Tu veux un peu d'aide? lui ai-je demandé, ne sachant pas trop quoi dire d'autre.

J'ai observé son expression faciale... C'était un beau mec. Un grand gars baraqué. Le genre de mec que toutes les filles rêvent d'être serrées dans ses bras. Il avait les cheveux d'un blonde châtain et des yeux pâles. C'était un bel homme, mais il avait l'air frustré.

Sal*perie de fauteuil roulant. Pourquoi est-ce que cet accident stupide était tombé sur moi? Pourquoi est-ce que je me retrouve enchaîné à ce truc stupide? Non seulement je ne pouvais plus faire tous les trucs que j'aimais, mais en plus, il fallait que je sois également restreint dans mes mouvements. Franchement, ne plus pouvoir circuler sur de l'herbe sans que quelqu'un pousse mon foutu fauteuil? Sérieusement?

Et soudain, une fille s'approcha. Petite avec ses vêtements légèrement garçonne... Des cheveux rougeâtres, des lèvres rosées, de jolis yeux. Petite, menue, généreuse. Elle me demanda si j'avais besoin d'aide, mais frustré que je suis, je n'ai rien trouvé à dire d'autre que :

- J'ai besoin de l'aide de personne, je peux me débrouiller seul.

Je déteste être dépendant. C'est comme si je ne pouvais plus vivre sans avoir quelqu'un près de moi qui me tient toujours la main. Sincèrement, je déteste ça !

J'aime pas voir les gens dans de mauvaises situations comme celles-là, mais sérieusement, est-ce qu'il venait vraiment de m'envoyer promener? T'es dans la merde, quelqu'un te propose de t'aider et tu l'envoies au Diable? Wow. Ok...

- Euh... Ok. Parfait. Moi, je voulais seulement t'aider à te sortir de ce mauvais pas, mais si t'es ok pour te sortir seul de merde, ça va, débrouilles-toi tout seul! ai-je dit d'un ton fortement insulté.

J'ai remonté mon sac sur mon épaule et je me suis éloignée, répondant rapidement au texto que mon Gavin m'envoyait. Le premier depuis deux jours. Désolé de pas t'avoir envoyé de Sms plus tôt bébé, je suis super occupé avec mes cours. Quoi de neuf? J'ai répondu rapidement, frustrée autant par lui que par ce pauvre mec que je voulais seulement aider.

« Ouais c'est ça, t'es cours, mon c*l. T'inquiète, chéri, j'ai vu ces jolis messages sur ton mur Facebook, tu peux bien aller la prendre si t'en as envie, moi j'ai fini de m'emmerder avec toi! »

Je textais rapidement, comme dans les moments où j'étais furieuse contre quelqu'un. Qu'est-ce que les hommes pouvaient être cons ici!

Je me suis immédiatement senti mal d'avoir répondu aussi brusquement. Oui, elle n'avait voulu que l'aider. Oui, j'étais de mauvaise humeur. Pourtant, je n'avais évidemment pas à faire subir mon malheur aux gens qui m'entouraient. Si seulement j'avais pu être la même personne qu'autrefois. Je lui aurais probablement répondu avec bonne humeur. Avec politesse tout au moins. Qu'est-ce que je pouvais être bête.

En fait, la jeune fille aux cheveux rouges semblait être sur le bord de la crise de nerfs. Même le message qu'elle reçut sur son téléphone sembla la frustrer. Elle semblait carrément être sur le bord de la crise de larmes.

- Attends! Je suis désolé d'avoir été brusque... C'est juste que... c'est nouveau tout ça pour moi. J'arrive pas à m'y faire. Je veux bien ton aide.

Elle s'était arrêtée, mais elle ne se retournait pas. Elle restait juste plantée là. Je m'attendais presque à la voir continuer sa marche vers je ne sais où juste pour me punir de ma méchanceté envers quelqu'un qui avait bien voulu me venir en aide, mais je me doutais qu'une personne comme elle ne ferais pas ça...

- Je m'appelle André... André Desmont.

Je m'étais retourné pour l'apercevoir, mais je ne la distinguais que du coin de l'oeil. Qu'est-ce que je devais faire?

Je l'avais dit. Je venais de jeter Gavin. J'étais écoeurer qu'on me prenne toujours pour une idiote. Sa réponse n'a pas été longue à venir... T'es sérieuse là? C'est quoi ton problème? C'est vraiment ça que tu penses de moi? Je n'avais pas envie de répondre à cela. J'étais mélangée. J'étais trop gentille. Pourquoi je suis toujours la première à faire les premiers pas? Pourquoi je suis toujours celle qui pardonne? Celle qui revient après qu'on l'ait repoussée.

- Pourquoi je t'aiderais après que t'ai agis comme un c*n? Ah... et puis m*rde...

Je revins sur mes pas et je saisis son fauteuil pour le reculer vers le chemin d'asphalte. Il avait besoin d'aide, je l'avais aidé.

- Je m'appelle Charlotte. Maintenant je te laisse tranquille. Essaie juste de te souvenir qu'un fauteuil roulant, c'est pas un véhicule tout terrain. À plus...

J'ai remonté mon sac sur mon épaule encore une fois en me demandant ce que j'allais finir par répondre à mon copain, ex... peu importe.

Elle allait partir tout de suite... J'avais merdé évidemment. Depuis quelques temps, je repoussais toutes les personnes qui pouvaient bien oser s'approcher de moi. Je m'étais arrangé pour me débarrasser de Miranda qui irait s'occuper de quelqu'un qui en avait vraiment besoin, quelqu'un qui voudrait de son aide. Mon infirmité avait repoussé Kathy qui était partie loin avec je sais pas qui. Et je repoussais la seule personne qui osait s'approcher de moi avec la ferme intention de me venir en aide, une personne qui aurait pu être mon amie.

- Tu t'en vas déjà? T'avais quelque chose de prévu?

Je me mis à lui poser des dizaines de questions en tentant de suivre la vitesse de son pas sur le chemin. Je n'avais pas envie de rester seul. J'avais envie de discuter avec quelqu'un, de trouver quelqu'un qui pourrait s'entendre avec moi malgré le fait que je sois un infirme.

- T'as des cours, peut-être?

Moi j'avais rien à foutre mes cours commençaient seulement le lendemain. En attendant je pouvais pas faire grand chose à part me promener sur le campus. Je pouvais pas aller en ville, j'arrivais pas à circuler correctement sans avoir quelqu'un derrière moi constamment pour pouvoir pousser mon fauteuil roulant.

La vie me dégoûte tout simplement en ce moment. Qu'est-ce que je suis censée répondre à Gavin? Qu'est-ce que je suis censée dire à ce mec, André, pour qu'il me lâche les baskets? Il poussait son fauteuil de ses bras musclés et me suivait du mieux que je pouvais et moi, je marchais de plus en plus vite pour le semer, mais il ne semblait pas vouloir lâcher le morceau. Alors que je réfléchissais à la réponse que j'allais donner à André, j'eus une idée... Il était un mec, il pourrait forcément m'aider à jeter Gavin sans lui faire trop de mal. Je me suis arrêtée, manquant qu'il me plante dans les jambes.

- J'essaie de jeter mon mec, mais je sais plus quoi lui dire. Je suis pas de très bonne humeur. Je suis venue ici juste pour lui et là, je sais qu'il va finir par me tromper...

Je sais pas pourquoi je lui racontais tout ça. Après tout, qui est assez barjo pour aller parler de ses problèmes sentimentaux à un pur inconnu rencontré dans un cour sur un campus universitaire? Personne. Enfin, juste moi on dirait.

- Je sais pas pourquoi je te dis tout ça. Je suis juste complètement dépassée. Je sais plus quoi faire.

Sa réaction me laissa perplexe. Je ne suis pas le genre de personne qui s'ouvre au premier venu, mais elle me semblait être de bonne foi. Elle semblait être le genre de personne qui sait écouter les problèmes des autres et qui aime la compagnie. C'est pour cette raison qu'au lieu d'éclater de rire, je l'ai encouragée à s'asseoir sur un banc de parc alors que moi je restais dans mon fauteuil, assis devant elle, la dévisageant bien dans les yeux.

- Je comprends ce que tu ressens, même si c'est pas moi qui jette mes copines habituellement, mais bien le contraire. Tu vois, moi je suis ici pour l'exact cas contraire. Quand j'ai su que je pourrais plus marcher, ma fiancée est partie.

J'aime pas faire pitié, mais la discussion s'en allait vers ce sujet et je ne veux pas qu'elle se sente comme si je l'enjoignais à tout me raconter alors que moi je reste muet sur ma vie personnelle.

- J'aime pas trop m'apitoyer sur mon sort. La seule chose que je pourrais te dire, c'est de pas le jeter par un SMS... Tu pourrais lui demander de te téléphoner ce soir ou encore aller le voir en bus? Un texto c'est pas une façon saine de terminer une relation, lui ai-je dit en fixant mon regard dans le sien. Enfin, c'est mon avis. Si t'as pas envie de le prendre en compte, c'est ton choix. C'est une idée comme une autre...

J'aime pas voir les gens de mauvaise humeur. J'aime pas que les gens soient tristes et cette fille-là avait besoin de quelqu'un qui lui changerait les idées...

Je ne savais plus quoi lui dire... Il avait complètement raison et c'était évident. Les filles accusent parfois les garçons d'être des trous de culs parce qu'ils décident de mettre fin à leur relation par le biais d'un SMS. Allais-je faire ce que je détesterais me faire faire?Je lui souris. Comment aurais-je pu lui donner tort? Il était trop gentil ce mec.

- T'as raison. Je peux pas mettre fin à une relation comme ça, je devrais aller le voir... Mais pas aujourd'hui.

Il me sourit. Je savais qu'il avait raison, mais je ne savais pas comment m'y prendre en face à face. Comment étais-je censée lui dire que je ne voulais plus de lui sans éclater en sanglots devant lui? C'était dur de penser que j'étais venue ici simplement pour rester avec lui et que je décidais subitement de le laisser juste en arrivant en ville.

- Je suis désolée pour ta copine, ai-je ajouté, légèrement mal à l'aise. Et pour tes jambes aussi. Tu ne devrais pas te torturer ainsi avec ton infirmité... Ne me demande pas comment je sais. Ça se voit. Si plusieurs personnes vont trouver ça étrange et être mal à l'aise avec le fait que tu as toujours marché et que ça n'est plus le cas aujourd'hui, d'autres sauront toujours te considérer comme un humain.

Qui étais-je pour le conseiller? J'étais certainement aussi écoeurée par ma vie que lui. J'avais sûrement autant de problèmes que lui du point de vue psychologique.

- Prends mon numéro de téléphone et sens-toi libre de m'envoyer des messages. Si t'as envie de discuter...

Je ne savais pas quoi répondre. J'ai pris son numéro, je l'ai entré dans mon téléphone avec une photo de son joli minois qui m'a sourit timidement. «Charlie Edwards :)». J'ai glissé mon cellulaire dans la poche de ma veste et je l'ai regardée s'éloigne lentement dans cet après-midi de novembre qui allait tout changer dans ma façon de voir les choses. Charlotte avait totalement raison : j'étais un humain et les gens finiraient bien par s'en rendre compte.

Ce n'était parce que Kathy m'avait quitté, trop effrayée à l'idée de devoir devenir ma garde-malade ou parce que les gens qui me connaissaient me regardaient comme si j'étais devenu quadraplégique que je devais changer mon humeur et tout le reste... Les gens qui allaient commencer à me connaître ne m'auront pas connu avec mes jambes et apprendraient à m'apprécier tel que j'étais.

Lentement, j'ai continué à pousser mon fauteuil dans le parc en me disant que peut-être, éventuellement, je devrais reprendre contact avec mes proches et leur dire ce qui était arrivé, simplement pour les informer, pas pour redevenir comme avant...