Shelby nous emmène donc jusqu'au parc. Déjà qu'en plein jour, j'sais pas où il se trouve, mais alors en pleine nuit, faut même pas imaginer. J'me perds. Quoique, j'ai un sens plutôt développé de l'orientation. La preuve, on me lâche dans n'importe quelle ville et on me dit de me rendre dans le bureau de tabac à l'autre bout de la ville, j'me perdrai pas. C'est le flair, ça. C'est comme si tu dis à un drogué de trouver sa dope dans une balle de foin géante. Il la trouvera, même si il doit se noyer dans l'herbe. Moi aussi, j'suis une droguée. Au tabac. Chacun ses trucs, les gars.

Nous entrons dans le parc. Vlà éclairé, ma parole. S'ils éteignaient les lumières toutes les nuits, ils feraient des putains d'économies. Autant eux que notre bonne vieille Terre. Hohoho, je deviens écologiste ça y est. J'vais me fringuer en vert et me balader entourée de pâquerette en chantant la chanson des bisounours. Passons. J'allume ma troisième cigarette depuis le début de la soirée, shootant de temps à autre dans les graviers qui se baladent eux aussi sur le chemin. Je plonge la main dans le sac à Shelby pour attraper une bière, que je décapsule avec mon briquet, la clope coincée entre mes lèvres.

- Alors dis moi tout, mini-mouche. T'as un joli p'tit mec collé aux baskets en ce moment ou pas ?

Elle a pas une tête de bisexuelle, et encore moins de lesbienne. Ah, parce qu'y a une tête à être lesbienne ou bi ? Non, mais j'veux dire. Ça se voit bien qu'elle ne se fera jamais une nana. J'ai le flair pour ça. C'est pour ça que tu pensais qu'Andreas était hétéro. Et qu'en fait, à part les mecs, rien d'autre ne l'intéresse. Bon ça va, c'est une erreur. Même les plus grands font des erreurs. J'te signale qu'Andreas était grand, baraqué, brun, et monstrueusement baisa... Ouais bon Shay. Ouais ça va, ça va. N'empêche, si moucheron a un mec, j'veux absolument voir la tête qu'il a. Genre je l'imagine avec des lunettes, en mode geek. Ou alors un basketteur hyper grand, et elle paraîtrait encore plus petite à côté de lui.

Je recrache la fumée, regardant le ciel. C'est joli les étoiles. J'me rappelle que quand j'étais gamine, j'me postais souvent à la fenêtre pour regardant les étoiles. Comme une conne, au départ je croyais que c'était des lucioles. Le premier qui se moque de moi j'lui fais baiser la prof de litté. Ça calme, tout de suite, hein. Donc ouais, j'aimais les étoiles. J'me dis que pour chaque personne qu'on a perdu, y a une étoile. Ou les personnes qu'on ne voit plus. Pour moi, Ian et Mike y sont. Ils me manquent, j'peux pas le cacher. Ce sont mes frères, on s'entendait super bien, ils me chouchoutaient, j'étais une princesse. Leur petite Seri, comme ils aimaient m'appeler. J'crois que la dernière fois où j'ai dit "Je t'aime", et ça remonte, c'était à Ian. Mon grand dadet de Ian. Ils ont totalement désapprouvé mes fréquentations. Mike a failli étriper Kevin, quand il a appris qu'il m'avait proposé un tas de trucs illégaux. Ils me faisaient tout le temps la morale. "Putain mais Sofia, regarde toi ! Est-ce que tu vois ce que t'es devenue ? Est-ce que tu crois vraiment que ça vaut le coup, que... - Prononce le nom de ce connard plus jamais j'te parle, Mike." J'crois qu'c'est la dernière discussion qu'on a eu avant que je sombre vraiment dans les conneries. Y a des jours où je regrette de m'être autant attachée à quelqu'un qu'en avait visiblement rien à foutre de moi. Qu'a pas pensé à moi au moment où il a décidé qu'on se parlerait plus. Mais maintenant c'est fini. Et plus jamais ce sera comme avant.