Ses mains encore fraîches qui passent sous la moitié de haut que je porte m'arrache un léger frisson presque tout à fait contrôlé, tout comme ses lèvres qui se baladent depuis quelques secondes dans mon cou. Tout ça pour vous faire comprendre que je suis en charmante compagnie. Un grand blond baraqué faisant partie de l'équipe de basket que j'ai rencontré y a quelques minutes à peine en allant fumer une clope. Il avait l'air sympa, alors je lui ai proposé de faire connaissance, avec un regard qui fait bien comprendre "et plus si affinités" sans que je n'ai eu à la dire à haute voix. Et là, on était entre la partie "faisons connaissance"  et la partie "et plus si affinités". Tu te prostitues. Non, je m'amuse. J'te signale que c'est le premier, depuis que je suis là, donc tu peux fermer ta gueule. Ça fait 4 semaines que t'es là, abrutie, heureusement que c'est le premier. Tu m'emmerdes, retourne te terrer au fond de ma tête, j'aurai franchement pas besoin de toi pour la suite des opérations, pétasse.

Et le bâtiment le plus proche était le gymnase. Et qui, à cette heure-ci, voudrait s'entraîner ? Personne, on est d'accord. Donc la tranquillité est à nous, et c'est franchement pas plus mal. On doit être assis dans les gradins depuis moins de 5 minutes, et je suis déjà installée sur ses genoux. Une censuré. Ta gueule. Rapide, on a pas de temps à perdre.

Alors qu'une de ses mains descend le long de ma jambe, et que l'autre trouve plus intéressant de continuer sa course dans mon dos, la lumière s'allume. Putain de merde. Le temps de repousser le mec, me voilà sur mes deux jambes. Et je suis pas la seule à être agacée d'avoir été interrompue en plein interrogatoire essentiel. Nous fixons tous les deux la pauvre cheerleader, qui nous regarde à son tour, nous disant en gros qu'on avait pas à faire ce qu'on faisait ici. Un sourire. Elle sourit, cette pauvre fille.

Je pose le pied sur le premier banc, avant de sauter sur le prochain, et ainsi de suite pour que mes jolies Nike fraîchement achetées touchent enfin le sol verni du gymnase. Je réajuste rapidement mon crop top moitié déchiré, croisant ensuite les bras face à cette minuscule mouche brune.

- Pardon, tu as un problème, minette en chaleur ? D'en haut j'ai pas bien entendu. Sache que ce sont les plus gênés qui dégagent.

"Je pense que tu as très bien entendu, sinon tu ne serais pas descendue pour essayer de faire la "je-suis-supérieure-a-toi-et-je-me-crois-au-dessus" ! Moi la minette en chaleur ? Excuses moi, mais entre toi et moi, c'est pas moi qui suis en chaleur. On en a la preuve la même ! D'ailleurs remonte ta bretelle !"

Ouh la la, la petite mouche s'énerve. Je laisse un léger sourire étirer mes lèvres. C'est bien trop simple. Qu'est-ce que les gens sont nerveux ici, fiu, c'est dingue. Je crois qu'on devrait les mettre au yoga. Ou à la fumette, ça dépend. Shay. Ouais, c'est moi. Je sais bien, que c'est toi, imbécile. Ah, alors pourquoi tu m'appelles ? Stupide. Toi aussi, t'es énervée petite conscience ? Hahaha. En même temps, c'est normal d'avoir cet air supérieur, elle doit faire 10 cm de moins que moi, alors forcément je suis plus haute. Ma bretelle ? Mais quelle bretelle ? J'ai pas de bretelles, je porte pas de soutif. Shay ! Quoi ? On t'a pas demandé ce que tu portais, merde ! Ah, bon, d'accord, excuse-moi, excuse-moi.

"C'est sûrement pas à moi de partir. Si tu ne savais pas, c'est le gymnase des Pom Pom girl, et toi, tu l'est sûrement pas, j'ai même aucun doute la dessus. Donc c'est plutôt à toi et ton.. Mec du jour de dégager."

Oh si. Oh si je sais très bien que c'est le gymnase des cheerleaders, mais je suis sûre que même la capitaine ne serait pas là à cette heure-ci. Mademoiselle voudrait-elle impressionner la Lopez et la coach ? Allez savoir. A la recherche de la gloire, le microbe ? Peut-être essaie-t-elle d'égaler les plus populaires. Mais avec sa taille de minimoys, je doute de la réussite de la chose, voyez-vous. M'enfin bon, qui ne tente rien n'a rien, je ne veux pas briser ses rêves. Elle s'effondrerait en chialant toutes les larmes de son corps, et je me verrais l'engueuler un peu plus. J'aime pas enfoncer les gens plus bas que terre, au bout d'un moment c'est trop. Sofia ? Ta gueule, pétasse.

- Écoute, microbe, y a un truc qui dit "C'est les plus gênés qui s'en vont." je crois qu'il va falloir que tu partes. Et ce n'est certainement pas parce que tu te balades en jupette à montrer ton cul d'anorexique et qu'on t'appelle "cheerleader" que je vais t'obéir. Il n'y a pas marqué "propriété de la vilaine mouche" sur les murs, alors j'ai autant le droit que toi d'être ici, compris ?

"T'as pas d'autres arguments que ton "c'est les plus gênés qui s'en vont" ? Parce que c'est un peu répétitif et très chiant. Les basketteurs sont bien contents de les voir nos "culs d'anorexiques" pendant leurs matchs, d'ailleurs ça plaît même à tous les gars, même ton nouveau mec. Redescends sur Terre sérieusement ma pauvre. Tu as tort cherche pas. Après tu peux toujours rester à fricoter avec ton copain, ça fera une belle vidéo que S ne tardera pas à afficher !"

J'aime. Cette nana a pas l'air si niaise que ça, elle a du répondant, elle ne se laisse pas faire, elle se défend. Ouais, vraiment, j'aime beaucoup. Elle m'impressionne. J'avais jamais rencontré quelqu'un comme ça, ici, encore. Peut-être ne sont-ils pas tous des fils et filles à papa qui n'ont absolument pas de répondant, de répliques cinglantes, qui vont se réfugier dans la jupe à maman quand ça va mal, et qui ne font pas venir leurs parents dès qu'y a quelque chose qui couille. Personnellement, je me vois pas aller me plaindre à ma mère pasqu'une nana m'a parlé comme une connasse. Déjà, j'ai plus de contacts avec ma mère, ça aide beaucoup, à vrai dire. Je me vois pas revenir et lui dire "Eh maman, c'est ta petite Sofia, bon, aujourd'hui elle s'appelle Shay, c'est une connasse qui s'habille comme une censuré, et elle a braqué quelques banques, mais sinon, toi, ça va ?" Non, sinon elle me flingue, je pense.

Je m'approche un peu de la fille avec un sourire, changeant immédiatement de ton. J'suis tout de suite plus sympa, et ce n'est plus franchement un sourire faux-cul que je lui adresse. Elle m'a prouvé qu'elle réussissait à me battre dans un domaine où j'excelle, donc j'accepte d'être sympa, elle le mérite amplement. Si vous voulez subir le même sort que cette nana, faites preuve de répondant, et réussissez à bien me renvoyer chier, sinon ça ne fonctionnera pas comme avec elle.

- Je suis Shay, enchantée.

T'as pas peur qu'elle te prenne pour une tarée ? Ofh, elle doit déjà me prendre pour une censuré, une grosse connasse, une pétasse, une censuré, aussi, alors pourquoi pas une tarée, ou une bipolaire ? J'm'en fous, on verra bien, de toute façon.

"Moi c'est Shelby, enchantée également !"

Shelby ? C'est pas franchement un prénom commun. Enfin, les américains ont toujours des prénoms bizarres. Rien que le nom de la fille de Beyoncé et Jay-Z : Blue Ivy. N'allez pas me dire que c'est normal d'appeler sa fille "Lierre Bleu". Enfin t'as bien des Rose, Clémentine ou je ne sais quelle fleur. Mais bon. Lierre Bleu quoi. Enfin bon, là n'est pas la question.

Le mec descend à son tour et m'attrape par la taille. Holà holà mon mignon, on va se détendre, j'ai plus envie là, et je t'appartiens pas. T'es vraiment une connasse. Tu le chauffes tranquille et après tu le laisses tomber pour aller mesurer une nana, histoire de voir si elle est à la hauteur pour te parler. Une vraie connasse. Ofh. J'suis Shay. Faut faire avec. Je repousse rapidement le gars, on va lui faire comprendre gentiment qu'on veut plus de lui.

- Désolée mignon, mais t'es finalement pas à la hauteur.

Je lui lance un sourire désolé, haussant les épaules avant d'attraper la fille par le bras pour qu'elle m'accompagne dehors. D'une parce que on va laisser Monsieur digérer sa défaite et de deux parce que j'ai besoin d'en griller une. Et pis j'embarque Mini-mouche parce que je veux pas être seule et que je suis d'humeur causante ce soir.

- Salope.

Oh. Il doit pas avoir l'habitude qu'une nana le laisse en plan comme ça. Ça doit plutôt être l'inverse d'habitude. Il donne rendez-vous à une innocente et naïve jeune fille et au dernier moment "Désolé, j'ai un truc de prévu" et il lui pose un lapin. Les mecs, tous des connards j'vous dis. Enfin bon, tout ça pour dire que son insulte ne m'atteint pas. "Salope", "Connasse", "Pétasse" et j'en passe je les connais par coeur, je les entends presque tous les jours, alors j'en ai pris l'habitude. Et puis comme on dit "La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe.". Toi, la blanche colombe ? Ouaip. T'es loin d'être blanche. C'est l'expression, abrutie tss.

- Je sais mon chou, je sais ! je dis bien fort pour qu'il puisse m'entendre.

J'arrive enfin à la porte de derrière, j'ai déjà depuis bien longtemps lâché la fille, c'était juste histoire qu'elle comprenne que je voulais qu'elle me suive à l'extérieur. Et ça a visiblement fonctionné. Parce que bon, savoir qu'elle s'appelle Shelby c'est cool, mais ça me dit pas si elle est intéressante ou quoi. Enfin si elle réussit à me tenir tête, c'est déjà un bon début. Je sors du gymnase, laissant la porte ouverte derrière moi pour que mouchillon m'imite. Je m'adosse au muret qui délimite la courette. Là bas y a un cabanon où y a sûrement tout le matériel d'entretien et tout ça, vous voyez. En gros, on est tranquilles ici. En face du muret t'as le mur d'enceinte, mais tu peux rejoindre la cour, y a un léger espace entre les deux murs. Faut être menu mais c'est jouable. Bref.

Je fouille dans les poches de ma veste, en sortant mon téléphone et mon paquet de cigarettes. Adrien, Ryan... Ouais, non, pas de messages assez importants pour les citer. Je pose mon portable et sort une clope du paquet, l'allumant rapidement pour tirer une première fois dessus avant de parler à moucheron. Je gratte le sol du bout du pied, recrachant la fumée, relevant ensuite les yeux vers Shelby.

- Alors moucheron, t'es à l'UE depuis un petit moment, j'me trompe ? Qu'est-ce tu fous ici à 20h30 ?

Je pose mon paquet près de mon téléphone et me hisse sur le muret à la force de mes bras, ayant coincé ma clope entre mes lèvres. Je replace mon crop top avant de tirer une taffe, indiquant mon paquet du menton.

- Sers-toi, s'tu veux.

Non, je ne la ferai pas tirer sur la mienne, j'ai horreur de ça. J'aime pas passer après les autres ou quoi. Au risque qu'elle en gâche la moitié d'une, tant pis. Je préfère ça qu'elle ne tire sur la mienne. Enfin bon, elle a une tronche d'innocente. Certes il ne faut jamais se fier aux apparences, mais y a quand même des signes qui ne trompent pas.

"Ouais ça commence à faire un bon moment, novembre 2012, si je me souviens bien ! Et toi ? Ça ne fait pas longtemps n'est-ce pas ?"

Ouah. Novembre 2012. Elle est tarée, elle a survécu parmi tous ces débiles, pendant tout ce temps ? Shay t'as 18 ans, et tu dégages de là à 21 ans. T'as encore quelques années ma petite chérie. Ouais, si je me casse pas, ou qu'on ne me vire pas avant. Ou si on vient pas me chercher pour ce que j'ai fait en Finlande. Sinon là j'suis dans la merde la plus totale. C'est la chute de Shay, et de la pauvre Sofia aussi. Et puis non, moi ça ne fait pas longtemps. Un mois ou deux, il me semble. J'suis pas vraiment sûre, j'ai l'impression qu'on est dans un autre espace temporel. Enfin bref.

"Pas grand chose en fait, j'avais envie de me changer les idées donc je suis directement venue ici ! Et toi ? C'était pour ton basketteur ?"

Ah je vois. Elle doit être passionnée par le cheerleading ou un truc du genre. Enfin parce que généralement quand on se change les idées c'est en faisant quelque chose qui nous passionne, nous fait penser à autre chose, non ? Enfin moi c'est comme ça que ça fonctionne, mais on est pas tous pareils, c'est certain. Et puis oui, moi ç'aurait été pour faire un approfondissement de connaissance avec ce jeune homme. J'suis pas sûre qu'ça se dise "approfondissement de connaissance". On s'en fout. Ben... Ok. J'allais peut-être me le faire, voilà.

Je recule pour m'adosser au mur du gymnase, à cheval sur le muret, prenant soin de ne pas m'abîmer les jambes contre les parpaings, ce serait bête, étant donné que les shorts sont mes meilleurs amis. Je tire sur ma cigarette, regardant le ciel. Il fait sombre.

- Ouais, un ou deux mois peut-être. Et puis ouais, je commence à souffler la fumée, tirant une seconde fois à la suite, ouais, pour le basketteur. Mais je crois qu'il a pas franchement aimé que je le rembarre, tu l'aurais vu en haut, pire qu'un lapin.

Je ris légèrement, laissant tomber mes cendres au dessus du vide, relevant les yeux vers la petite brune. Je l'aurais quand même pas imaginé une clope au bec. Oui parce que j'ai oublié de citer qu'elle s'était servie. Comme quoi il faut toujours se méfier des apparences. On risque de bien s'entendre si ça continue comme ça.

- Tu vois, les mecs comme ça, faut toujours les faire espérer et les laisser tomber après. Ça leur apprend qu'ils sont pas tout puissant. Enfin bref. Je pensais pas que t'en aurais pris une. T'as trop une tête de sainte. Du genre "faut pas fumer, c'est mauvais pour la santé", t'sais.

Le refrain vraiment lourd que vos parents, les profs, les geeks ou les saintes-nitouches vous répètent à chaque fois que vous allumez une cigarette. Et avec le refrain t'as les couplets et le pré-refrain. T'as "Ça raccourcit la vie", ou "T'empoisonnes aussi les non-fumeurs", tous les trucs du genre quoi, qui te cassent ce que tu n'as pas forcément. Ou alors le "Mais tu fuuuuumes", dit sur le même ton que celui qu'on emploierait si on avait découvert que t'avais poignardé ton voisin dans sa cage d'escaliers. Passons.

- T'es américaine j'me trompe ?

« Ah ça va, t'es pas là depuis trop longtemps, tu verras, Enamor cache beaucoup de secrets.. Déjà d'en bas j'ai vu la tête qu'il faisait, j'ai cru qu'il allait se décomposer tsais quoi ! »

Enamor cache beaucoup de secrets. Ouais, apparemment, c'est assez bizarre, ce qui s'y passe. J'ai pas encore été victime de quoi que ce soit, et, à mon grand avis, vaut mieux. C'est pour ça que je me fais discrète. Toi, discrète ? Non mais je veux dire j'vais pas me foutre dans des histoires impossibles. Sinon c'est un coup à ce que cette foutue S m'emmerde. Et j'ai pas envie. Sinon en plus d'avoir S au cul, les flics seront là aussi. Et bon, on met pas une jolie blonde en taule, c'est pas juste. Et pis j'ai pas franchement envie de devoir négocier une sortie avec les gardiens, souvent ils sont gros, moustachus et moches. Et vieux. Donc bon, me faire un vieux derrière des barreaux, c'est pas top, pas t'à fait mon trip, tu sais.

Ah oui, l'autre il se serait décomposé, ouais, s'il avait pu. Excité comme un lapin en haut, bien rafraîchi en bas. J'adore faire ça, ça m'amuse. La chose qui m'amuse encore plus, c'est les insultes qu'ils sortent après. "Salope", "traînée", "connasse", "chienne". J'ai tout eu. Ils sont tellement susceptibles, les mecs. En plus niveau réaction ça se répète, hein, faudrait qu'ils changent le disque, il est rayé je crois. J'affiche un fin sourire, tirant une dernière fois sur ma clope avant de l'écraser et d'envoyer balader le mégot plus loin.

« Une tête de sainte ? C'est bien la première fois qu'on me dit ça. Mais non, je suis loin d'être une sainte tu vois... Tu as visé juste, je suis Américo-Australienne. Et toi ? Tu viens d'où ? »

La première fois qu'on lui dit qu'elle a une tête de sainte ? Elle a un visage de poupée, les cheveux longs, toute petite toute mimi, c'est bizarre. Mais par contre, c'est sûr, c'est pas une sainte. Mais son "je suis loin d'être une sainte" m'intrigue. Qu'est-ce qu'elle a fait, moucheron, pour être "loin d'être une sainte" ? Elle a tué quelqu'un, elle a avalé une tonne de trucs qui te défoncent le corps, elle a fait brûler quelqu'un sur un bûcher ? J'ai trop envie de savoir maintenant.

Américano-australienne. Ils savent plus quoi inventer. Elle est Américaine ou Australienne ? Les deux mon capitaine. En gros c'est comme si elle était née un pied aux Etats-Unis, un pied en Australie. Sauf que c'est pas possible, Marshall. C'était une image, ducon. Bref. Moi à la base je suis finlandaise, mais j'ai eu la nationalité américaine grâce à un de mes potes qui m'avait appris un tas de trucs, comme ne pas laisser d'empreinte là où on passe, mais ça ça n'intéresse que moi. Donc en fait, Sofia est finlandaise, et Shay est américaine. C'tout.

- J'suis américaine, mais d'origine européenne tu vois. C'est ça, c't'accent bizarre.

Je rattrape mes affaires pour les mettre dans mes poches, grimpe debout sur le muret et réussis à monter sur le mur d'enceinte. J'ai envie de sortir. Je sais pas où mais j'ai envie de sortir. Genre balade nocturne. De toute façon, j'ai rien d'autre à faire. Ouais, rien d'autre à faire que d'enfreindre les règles. Oh c'est bon, ta gueule toi là-haut. Je regarde le sol de l'autre côté, assise sur le dessus du mur avant de me tourner vers Shelby. Bon, voyons à quel point elle est "loin d'être une sainte".

- Alors moucheron, tu viens ou tu restes là ?

Mini-mouche jette son mégot, me regarde, grimpée sur le mur, avant de remettre pied à terre, d'attraper son sac, et de se barrer. Pardon ? Je hausse un sourcil, observant la porte du gymnase qui s'ouvre, laissant entrer la brunette, avant de se refermer. Ah ouais. Ouais ben ouais, pourquoi pas. Bon. On va la faire toute seule, cette balade nocturne, tant pis. Je me redresse, prête à descendre de l'autre côté quand j'entends de nouveau la porte du gymnase grincer. Avec de la chance, c'est l'autre lapin, qui va revenir régler ces comptes. Ofh, non, j'espère pas, j'ai pas envie de me battre.

Je me retourne et aperçoit alors moucheron. Haha. C'était très drôle cette mini-blague pourrave. Non mais je te dis. Je savais qu'elle allait revenir. C'est pas une sainte, la petite Shelby.

"Et bien allons y ! Une promenade nocturne c'est une bonne idée je trouve."

Je souris, et m'appuie sur mes bras, me propulsant de l'autre côté du mur. Je veux pas glisser contre le béton, ce serait un coup à m'abîmer les jambes. Je tâte mes poches. C'est bon, y a rien de tombé. Je passe mes mains à l'arrière de mon short. Toute propre. Il fait sombre, par contre, derrière l'UE. Et ça pue le rat crevé. En même temps, c'est pas franchement un endroit super fréquenté. Bref, tout ce que j'espère c'est qu'y a pas de gens pas nets qui traînent. Moi j'm'en fous, c'est surtout à la gamine derrière que je pense. J'ai l'habitude, des mauvaises fréquentations, moi, ça fait un an, que j'ai l'habitude.

- Aller viens, moucheron.

Je glisse mes mains dans les poches de ma veste et commence à avancer dans la rue, attendant à peine que Shelby me suive. Elle sait où je suis. Et au pire, elle a sûrement son téléphone pour éclairer l'allée si elle voit pas clair, hein, merde. N'exagérons rien, j'suis pas une bonne poire, quand même.

Bon, où allons nous aller, au juste ? Parce que c'est cool de se promener mais si c'est pour aller nulle part, ça rime à rien. Je me retourne un instant et jette un coup d'oeil à moucheron. Elle a quel âge à votre avis ? A peine 18 ans ? Si ça se trouve elle a juste 17 ans en fait, elle a une tête de surdouée. Enfin méfions-nous. Je croyais qu'elle ne fumerait pas, et elle fume. Surprenante, la gamine.

- T'as quel âge, au fait ?

J'attrape une nouvelle cigarette et l'allume rapidement, tirant une première fois dessus tout en continuant de marcher, la main gauche encore dans ma poche.

17. Elle a 17 ans et elle en aura 18 au mois d'octobre. Ouais. Bon. On va dire que ça va, vite fait comme ça. On pourra facile la faire passer n'importe où. Enfin j'espère, parce que je compte pas passer ma soirée à rien faire. Remarque, je pourrais toujours laisser la gamine toute seule. Mais bon, un moucheron ça peut vite se faire écraser si vous voyez ce que je veux dire. Suffit qu'elle croise deux gars mal intentionnés et ça y est, plus de moucheron. Ce serait dommage, tout de même.

- Moi j'en aurai 19 au mois de septembre. Et j'peux te dire que j'ai hâte. Plus vite on vieillit plus vite on peut se casser, tu vois ? Je tire sur ma cigarette, jetant un coup d'oeil à Shelby. Vu les gens qu'y a à l'UE j'veux vieillir plus vite que la lumière.

On marche encore quelques temps avant de retrouver la lumière. Ouah putain mes yeux les gars, mes yeux. Trop de lumière les nique. Alors, où est-ce qu'on est au juste ? Je sais pas trop. Mais pas en centre ville, si vous voyez ce que je veux dire. Les lampadaires pètent les yeux et les oreilles en grésillant, des chiens aboient, et les rues sont étroites. Quartier populaire de Montréal bonjour. Bah j'aime pas ça. J'viens d'acheter mes pompes, sérieux, c'est pas pour les pourrir.

Je m'arrête et me tourne vers brunette, reprenant une rapide taff.

- Les règles, moucheron. Tu baisses les yeux devant les pseudo-caïds et surtout tu te tais, tu n'ouvres surtout pas la bouche. A part si tu veux te faire dépuceler en mode viol. Passons. Tu te fais pas choper, tu m'appelles si jamais y a un autiste qui te frôle, et au pire tu cours. En tenant ta robe. Parce que ça aussi ça les excite. D'ailleurs, faut jamais mettre de jupette le soir, conseil de pote. T'as compris, mini-mouche ? Et surtout, tu t'éloignes pas de moi. Pas envie d'aller te chercher au fond d'une ruelle.

Je jette ma cigarette par terre et l'écrase sous mon pied. C'est parti les gars, allons dans la jungle de lions qu'ont pas vu de nanas depuis des siècles et qui rêvent que d'une chose. Tirer un coup. Pour être polie. Ah parce que tu crois que t'as été polie durant toute ta tirade là ? Ben ouais. T'aurais pu éviter certains mots. Ah ça y est, tu fais la sainte-nitouche maintenant. On est pas dans la merde.

Je commence à avancer, prenant soin de faire aucun bruit, indiquant à Shelby d'en faire de même. S'ils sont pas dehors, autant ne pas les faire sortir, ce sera pas plus mal, hein.

- Mesdemoiselles ?

Eh merde. J'suis pas d'humeur diplomate ce soir. Je ne me retourne même pas, attrapant Shelby par le poignet et accélérant légèrement.

Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n'y est pas. ♪

Non, sérieusement. J'crois qu'c'est la jupe à la demoiselle là, ça les attire à des kilomètres. Pire que des cerfs en rut. Délicat. J'fais pas dans la dentelle, excuse-moi. Ah bon, t'es sûre ? Non mais parce que le début de la soirée, excuse-moi, mais on avait pas du tout remarqué. Mais alors du tout du tout hein. Fous-toi de ma gueule, tiens, j'te dirai rien. Et d'ailleurs, pourquoi des cerfs ? Si seulement tu savais. Trop longue histoire pour être racontée. Ben tiens.

Bon, pour en revenir à nos p'tits loups, y en a un qu'a décidé de nous emmerder. Son "mesdemoiselles", là, pas du tout innocent nous montre tout. J'ai même pas besoin de me retourner pour savoir qu'il affiche un sourire malsain, et un drôle de regard étincelant. Lui, rien qu'à son ton, j'peux vous dire qu'il a pas baisé depuis au moins, aller, huit bonnes années, vu qu'y a personne qui passe ici à part quelques rats. Autant dire que même si on se met à courir, il nous rattrapera facile. Sérieusement, Shay, tu pourrais modérer ton langage ? Tu m'gonfles toi. Donc en gros, on l'a derrière nous jusqu'au retour de la civilisation. Autrement dit, pas franchement longtemps je l'espère. Surtout, faut se montrer confiante et rassurée, parce que si moucheron panique, on est foutues.

- Ben alors, vous vous êtes perdues ?

Je pile devant le mec qui vient de se planter devant nous. Ah putain non, on avait pas besoin de ça, sérieux. Deux mecs qu'ont pas pu - Shay. Qui n'ont pas tiré un coup depuis huit ans ça va faire lourd à supporter. Bon, dans le pire des cas, ils perdront ce qu'ils ont entre les jambes, mais pour le peu qu'doit y avoir, ce sera pas une grosse perte. En plus après ils seront inoffensifs. Marshall, s'il te plait. Ouais, ouais, ça va ça va.

- Nous ? Ah non, du tout.
- Vous êtes sûres ? répète-t-il avec son sourire carnassier.
- J'ai jamais été aussi sûre de ma vie, j'dirais même. Sur ce, vous nous excuserez.

Sans lâcher le poignet de Shelby, je commence à avancer, sauf que l'autre connard qu'y avait derrière nous nous a visiblement rattrapé, et vient de commettre la plus grosse erreur de sa vie. Me mettre la main au cul. Le pauvre. Le temps de me retourner et le clochard est à terre. Tu m'étonnes, castration sans anesthésie, ça doit pas faire du bien.

- Petite salope, réussit-il à articuler.

Oui bon bah ça va, je sais que j'suis une salope, pas besoin de me le répéter une cinquantaine de fois dans la journée, merde. Recentrons-nous, l'autre s'approche dangereusement de moucheron. Putain, lui aussi il veut perdre ce qui fait de lui un mâle. Enfin un pseudo-mâle. Je soupire. Les pauvres. Ils doivent vraiment être désespérés. Tant pis pour eux, c'est pas grave.

Le deuxième connard suit le chemin de son partenaire, c'est-à-dire, par terre dans la merde. Non mais ils ont cru quoi. Je tire Shelby hors de portée des deux abrutis.

- J'espère que t'aimes bien courir, moucheron, parce que là, de toute façon, on a pas trop le choix, je dis en commençant à accélérer, entraînant brunette avec moi.

« Et bien on a pas trop le choix comme tu dis. » constate Shelby.

Bien vu moucheron. J'espère qu'elle est aussi endurante que moi parce que là on en a pour quelques minutes de course. Tout en se taisant, c'est mieux si on veut pas rencontrer à nouveau des tarés pervers. C'est que j'en ai marre des gens comme ça. Donc je risquerais d'être encore moins patiente. Déjà qu'la patience fait pas franchement partie de mes qualités.

La ville. Enfin le centre ville. Les rues sont plus éclairées, et y a pas de mauvaises rencontres à craindre. Enfin moins en tous cas. Parce qu'on est jamais à l'abri d'un psychopathe obsédé sexuel. Mais ici y a moins de chances d'en croiser et en plus y a des gens autour donc déjà, ça nous protège plus ou moins.

Je lâche moucheron et commence à ralentir, reprenant un rythme de marche normal. On passe devant une épicerie, je m'arrête et observe le devant. J'ai une petite faim moi. Pas vous ? Ah non, Shay, ah non. Quoi, qu'est-ce que j'ai dit ? Je sais très bien où tu veux en venir mais non, Shay, non. Mais quoi ? Je vais juste emprunté à manger et une petite bière. Emprunter ? Tu comptes leur rendre ? Je sais pas, c'est un EDI. Un EDI ? Ouais. Un Emprunt à Durée Indéterminé. Ouais en gros tu les voles. Non, c'est un EDI.

- T'as pas un p'tit creux Shelby ? je demande avec un petit sourire en coin, me tournant vers la brune.

Je regarde le bâtiment et me glisse dans la ruelle qui sépare l'épicerie du commerce d'à côté. Y a une porte derrière. J'sais pas trop où, mais y en a une. Je sors mon téléphone de ma poche et éclaire le mur. Alors alors... Par là, dans le fond. Je m'approche de la porte et tâte mes poches. Merde j'ai pas de clés. Je passe mes mains sur le col de mon haut. Pas d'épingle non plus. Eh merde. Y a du relâchement, d'habitude j'ai toujours au moins une épingle sur moi. En espérant que mini-mouche à ce qu'il faut sinon je vais devoir attendre pour manger. Je me tourne vers elle.

- Dis moucheron, t'aurais pas une clé ou une épingle par hasard ?

"Tu vas forcer la serrure si j'ai bien compris ? Ingénieux.. J'y connais absolument rien là dedans moi !"

Shelby me tend les épingles. Trois, pour être précise. Ofh, ça devrait le faire. J'ai crocheté une serrure avec moins que ça, croyez-moi. Comme par exemple la porte d'un appartement. Avec une paire de ciseaux, ouais. C'était pas gagné mais avec de la persévérance, on arrive à tout. Et vu que je réussis tout ce que j'entreprends, y a pas de quoi paniquer, j'vais y arriver. Je relève un instant la tête vers moucheron, esquissant l'ombre d'un sourire.

- C'est ça quand on reste trop longtemps au couvent, ma jolie, on oublie d'apprendre des choses essentielles à la vie.

J'attrape les épingles et m'accroupis à hauteur de la serrure. Coinçant deux des épingles entre mes lèvres, j'introduis la troisième dans la serrure. En plus c'est un truc simple. L'épicier à franchement pas peur. En même temps on est dans un quartier de bourge, donc bon. Suffit juste de choper le bon truc et après c'est ultra simple. Quelques manipulations plus tard, toujours attentive, j'entends alors un petit clic familier qui m'indique que la porte est ouverte. Je suis trop bonne les gars. Modestie, Shay. Fait pas partie de mon vocabulaire, lui.

Je me redresse, poussant lentement la porte. Bon. Doit y avoir un système d'alarme, il est pas con. On atterrit pas tout de suite dans l'épicerie, y a d'abord une toute petite pièce devant nous. La taille de chiottes publiques. Shay. Quoi ? Bon. Où il a foutu le boitier d'alarme ? J'inspecte les murs, toujours à l'extérieur et vois alors une petite lumière qui clignote. Eh ben le voilà. Je m'avance tout doucement et ouvre la boîte. Alors alors. Encore une tonne de fils. C'était quoi déjà ? Ah oui ! Je fouille dans mes poches et attrape mon couteau suisse - j'aurais pu l'utiliser pour la serrure tiens - et sectionne certains fils. La diode arrête de clignoter. On perd pas la main. Je reprends l'épingle et ouvre la seconde porte, celle qui mène à la boutique. Trop facile.

- Viens Shelby, ferme la porte derrière toi.

Une fois la petite passée, j'allume la lumière, observant les rayons. Bon. C'est parti les gars. J'entre dans l'épicerie, commençant à déambuler dans les rayons à la recherche d'un truc à me mettre sous la dent.

"Tu ne penses pas qu'il y ait des caméras de surveillance ? Ou bien tu les as coupées en même temps que l'alarme ? Parce que si quelqu'un s'aperçoit que les caméras sont coupées, ils vont trouver ça suspect, et vont débarquer sans tarder.."

Les caméras, s'il y en a, ont été coupées en même temps que le système d'alarme. On est pas dans un centre commercial, donc tout fonctionne ensemble. Sur un bâtiment beaucoup plus grand, il y a différentes parties, différents blocs, comme on appelle ça. Et avant d'aller voler, il faut étudier les plans, faire du repérages, etc. Vous pensiez qu'on peut se mettre voleur en claquant des doigts ? Faux. Tout ça demande un travail en amont. Si tu ne sais pas où se trouvent les boitiers des différents systèmes, là où sont les caméras, les agents de sécurité et tout ça, tu risques d'être bien emmerdé une fois à l'intérieur. En Finlande, on étudiait pendant quelques mois avant de cambrioler des banques. Surtout des banques. Beaucoup plus protégées qu'un centre commercial. Et là, n'oublions pas que nous sommes dans une petite structure, d'à peine 100m². Conclusion : aucun souci. Et c'est ça qu'est bien.

- T'inquiète pas. Une coupure de courant est si vite arrivée.

Franchement, avec un peu plus de préparation je serais allée braquer la grande structure. Mais j'ai pas eu le temps de prévoir. En plus ici, au Canada, je suis seule. Et je devais me calmer niveau vol. J'essaie, c'est pas facile. Etre hors-la-loi c'est tellement bien, ça fait monter l'adrénaline, ça aide à être quelqu'un d'autre. Certains sniffent, se piquent, fument. Moi je vole. C'est un peu comme une drogue. ça te fait oublier quelques instants tes problèmes. Et, au passage, ça fait travailler la matière grise. Vous pensiez que voler c'était simple comme bonjour ? Vous vous êtes vraiment gourés mes pauvres petits.

"Shaaaay ! Tu veux boire quoi ?"

Je retrouve mini-mouche dans le rayon des alcools. Eh bien. Pour une bonne soeur elle est dévergondée. J'aime ça. En même temps, Shay, avec toi, elle peut pas franchement rester sage bien longtemps. Donc, j'avais dit quoi ? Une bière. J'suis pas très alcool fort. Ou dans des cocktails. Sinon, honnêtement, ça arrache et ça a pas franchement de goût, pour la plupart. Mais ce n'est que mon avis personnel tout ça. J'attrape trois ou quatre bouteilles, les glissant dans le sac à Shelby.

- Tu permets.

Pas le temps d'une réponse qu'elles sont déjà dedans, de toute façon. Et j'ai vu qu'elle avait embarqué quelques trucs à manger. Je sais pas quoi. Mais bon. Je chope encore deux trois choses que je balance dans le sac à Shelby. On va pas trop le remplir, pour l'escalade ça risque d'être chaud sinon. Moucheron s'éloigne et s'approche alors du comptoir, où se trouve la caisse. Elle fouille un peu avant de me demander si ça vaut le coup d'ouvrir la caisse. Oui, ça vaudrait le coup, mais non. C'est bien une bonne manière de se faire griller, ça. Si on sort de là en ayant pris seulement quelques trucs, ils ne penseront jamais à un vol. Si on embarque le fric, ça risque de devenir problématique. Et de toute façon, quel commerçant laisserait son fric dans la caisse, même dans un magasin super protégé ? Personne. Donc, en clair, doit rien avoir dans la caisse.

- Nop. Y a sûrement rien, il a dû tout embarquer. Aller moucheron, rapplique, on y va.

Nous sortons de la boutique, pour nous retrouver dans la salle. Je referme la porte à clé à l'aide d'une épingle et fais signe à Brunette de sortir du réduit. Je remets en route le boitier d'alarme et sors à mon tour. Avec la deuxième et la troisième épingle, je réussis à ferme la porte de derrière. Un vrai travail de pro, je m'applaudis. En même temps, je suis une pro.

- Voilà moucheron, on peut retourner à Enamor. A part si tu connais un bon endroit. Ah, le parc peut-être ? Comme tu veux, je connais pas vraiment Montréal.

Je pique les épingles sur mon crop top avant de sortir de la ruelle, attendant Shelby au bout de celle-ci.