Indi semble se perdre dans une réflexion qui me parait interminable. Je réfléchis en même temps qu'elle à la question que je viens de poser. "Et maintenant ?" Il n'y a pas à dire. Et maintenant, je n'en ai juste aucune idée. Je ne sais pas du tout ce qu'il va se passer désormais. Et c'est bien pour ça que je pose la question. Moi aussi je suis perdu dans mes pensées. Mais je reste fixer Indiana dans le blanc des yeux, attendant une réponse qui pourrait m'éclairer l'esprit, ne serait-ce qu'un peu. Juste un tout petit peu, un minimum.


Elle se serait arrêtée à "je sais pas", je pense que j'aurais préféré. Ça ne m'aurait absolument pas avancé, mais ç'aurait été moins désagréable à entendre. Pourtant il fallait s'y attendre, ce n'est pas parce qu'on s'est retrouvés que tout va changer, qu'on va tout quitter pour rester ensemble jusqu'à la fin de nos vies. De toute manière, on ne pourrait pas se supporter aussi longtemps. Ou alors, la fin de vie arriverait bien rapidement, voyez-vous.

Je hoche simplement la tête pour acquiescer sa réponse.


Je serre les dents. Ce n'est pas nouveau, Indi n'est pas vraiment la plus délicate quand il s'agit de mes "potes" féminines. Donc son insulte involontaire lâchée de moitié, ne me choque pas plus que ça. Néanmoins, elle m'agace. Je devrais le prendre comme une manière d'exprimer une certaine jalousie, ou possessivité, dans tous les cas une preuve d'affection, en quelque sorte. Mais j'y vois surtout un manque de respect envers Alyssa. Certes ce terme lui conviendrait, mais ce n'est pas une raison pour l'utiliser. Indiana ne la connait pas, elle ne peut pas la juger sur un prénom ou un statut.

- C'est pas une salope, Indiana, je dis sur un ton légèrement agacé, mais sans lever la voix pour autant. Mais je m'en fous, d'elle. Je compte pas l'épouser, moi.

Je fais une courte pause, et soupire, avant de reprendre.

- Enfin bon, c'était cool de te revoir, tu peux retourner galocher ton mari, je lâche en m'apprêtant à retourner à pied jusqu'au motel.

Merde, merde, merde. Je me suis emporté pour rien, je n'ai absolument pas envie de partir, de la laisser en plan, de la perdre à nouveau. Pourquoi j'ai dit ça, sérieusement ? Pourquoi j'ai posé cette putain de question aussi rapidement ? Pourquoi j'ai sorti une telle connerie ? On aurait pu profiter tellement plus. Je suis en train de tout ruiner. Mais il est un peu tard désormais. Je récupère mon sac, les yeux toujours fixés sur ce même point que j'avais perdu depuis bien trop longtemps, et que je risque de perdre à nouveau d'une seconde à l'autre.

Visiblement, mon insulte arrêtée en cours de route ne plaît pas vraiment à Keith, comme le montre son "C'est pas une salope, Indiana" bien agacé . Fallait s'y attendre, il a horreur de l'irrespect. Il devrait avoir l'habitude, pourtant, depuis le temps. Enfin, ça fait quand même cinq ans, il a peut-être oublié. Mais pourtant, il ne semble pas avoir oublié ma délicatesse. Je parle pas comme une grande dame, je suis grossière, rares sont mes phrases sans un mot vulgaire. J'ai pris la mauvaise habitude. Il n'y a seulement lorsque je suis entourée, que je parle bien, qu'une insulte ne sort pas toutes les deux minutes. Et je me tiens un minimum bien avec Aaron. Mais de toute façon, je ne suis pas moi, dans ce monde là. Je suis une image modifiée - encore - d'Indiana. C'est Indiana Wyatt, c'est pas moi.

Mais, quoiqu'il en soit, je ne prends pas sa remarque en compte. Qu'il pense ce qu'il veut, ça ne risque pas de m'influencer. J'aime pas cette fille, je l'aime pas, c'est tout. Bee, tu la connais pas. Ouais mais avec un tel prénom, ça cache forcément une nana qui sort tard le soir à la recherche de belles rencontres. N'importe quoi. Si, je te jure. Et Indiana, ça fait quoi ? Disons que... On peut dire que ses parents se sont loupés, et que s'ils l'avaient appelée Phoebe, ça serait pas mal. Tss, c'est très bien Indiana. Ouais, bien sûr.


"Mais je m'en fous, d'elle. Je compte pas l'épouser, moi."

Et vlan. Le "Je compte pas l'épouser, moi" sonne comme un beau reproche, comme une bonne gifle. Pfuh, si tu savais toute l'histoire, je t'assure que tu dirais pas ça, pas comme ça. Mais tu la sauras jamais, alors je te laisse dire, de toute façon, ça ne changerait rien. Je regrette, j'ai fait une belle connerie, je le sais, je le ressens bien assez aujourd'hui. Mais sa première phrase me fait sourire, légèrement, juste légèrement. Sinon ça le fait pas vraiment, alors retenons nous.

- Ouais, ouais, ça va, ça va.

Je croise les bras, soufflant, levant les yeux au ciel. Je tapote le bout de mes doigts sur mon bras, redescendant bien vite mon regard sur Keith. Doigts qui s'arrêtent rapidement lorsqu'il reprend la parole, après une courte pause et un soupir.

"Enfin bon, c'était cool de te revoir, tu peux retourner galocher ton mari."

Je reste totalement bouche bée. Pardon ? Attends, attends. Reprenons mot par mot. Un, deux, trois, un, deux, trois. C'est quoi ça ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Non mais c'est pas possible, ça peut pas marcher comme ça. Comment peut-il dire ça, hein ? Après tout, c'est peut-être ce qu'il veut. Maintenant qu'il m'a retrouvée, il va me lâcher comme ça, comme si de rien n'était ? Non. Non ben je suis pas d'accord. Comment peut-il croire ça ? Comment ? Je me mords les lèvres, inspirant pour ne pas m'énerver.

- Tu comptes vraiment, ose me dire encore une fois...  J'expire lentement, tentant de me calmer. Tu penses seulement ce que tu  viens de me dire ? Tu sais quoi, ferme ta gueule, hein. Ce serait mieux, autant pour moi que pour toi. Sérieusement, je...

Je replace nerveusement une mèche de cheveu en place, coinçant mes mains sur ma taille, reculant d'un pas, mais avançant ensuite de deux. Stressée, Indi ? Moi ? Mais jamais, voyons, c'est franchement pas mon genre.

- Si tu pars Keith, je t'assure que... Non mais tu peux pas partir. Tu peux pas, tu m'entends ?

Je m'approche encore de lui, tout près. Ma main glisse dans son cou, le bout de mes doigts s'appuient un peu plus fort sur sa nuque, mes ongles se crochetant presque dans sa peau, comme pour le retenir. Je pose mon front contre le sien, mes yeux n'ayant toujours pas quitté les siens.

- Tu peux pas, Keith, je murmure.

C'est presque si je ne le supplie pas. J'ai l'air complètement ridicule, de me raccrocher à lui comme ça. Je me laisse trop aller. C'est mauvais ça, très mauvais, c'est moi qui vous le dis. Mais j'ai tellement besoin de lui, j'ai tellement peur de le voir partir encore une fois, qu'il m'abandonne, qu'il me laisse encore, que sa présence fantôme me hante, que j'en rêve encore la nuit... Non, j'en deviendrais folle, cette fois-ci, mais réellement folle.

Je ne le montre pas, mais la réaction d'Indiana me soulage d'un poids. Elle semble totalement choquée par ma réplique. Et complètement déroutée, même. Elle remet une mèche en place, recule, puis avance, inspire, expire, perd ses mots. Elle non plus n'a pas envie qu'on se quitte, visiblement. C'est rassurant. Mais pour autant, je me sens perdu. Je sais que c'est mal, ce qui se passe. Ça ne va pas nous apporter du bonheur, puisqu'on n'arrêtera pas de s'engueuler, on en souffrira. Mais je préfère me torturer à ses côtés que de continuer à vivre cette vie insipide et sans goût sans m'arrêter de penser à ce que j'aurais pu ressentir avec la femme que j'aurais laissé tomber sur un coup de tête.


Bien sûr que non, Indi, je ne le pense pas un seul instant, pas même une fraction de seconde. Non, et non. Je refuse de te voir partir, encore une fois. C'est impossible, c'est inconcevable. Rien que l'idée que tu le rejoignes, ton mari, ce fameux mec avec qui tu es réunie par les putains de liens sacrés du mariage, me met hors de moi. Je ne veux même pas t'imaginer dans ses bras, qu'il puisse t'avoir qu'à lui, t'embrasser. Je détesterais cette vision.

Indiana me répète à plusieurs reprises que je ne peux pas partir. C'est certain, je ne peux pas partir. Même avec toute la volonté du monde, je ne pourrais pas. C'est une attirance qui ne s'explique pas, et qui ne relâche jamais la pression. Et là, je n'ai même pas la volonté de partir. En d'autres termes, dans tous les cas, je crois bien que je reste.

Elle s'approche alors de moi, très près, tout près, puis m'attire vers elle en glissant sa main dans ma nuque. Son front se pose contre le mien. Nos yeux ne se quittent plus.


Je ne sais pas si c'est la situation présente, ou ses ongles qui viennent se planter légèrement dans ma peau, mais je serre la mâchoire, encore une fois, suite à un bref frisson. Un nouveau silence s'en suit. Mais dans mon esprit, c'est un brouhaha total. Je ne devrais pas rester, je sais qu'on recommencerait ce jeu aussi malsain qu'attirant. Mais c'est justement pour cette raison, que je refuse de partir. C'est incompréhensible. Mais tellement plaisant.

- Ouais, t'as raison, je réponds en chuchotant, un léger sourire se dessinant sur mon visage. Je peux pas.

Je ne peux définitivement pas. J'en suis incapable. Je me sens faible, de ne pas pouvoir contrôler la situation. Et pourtant, j'adore ça.

"Ouais, t'as raison. Je peux pas." chuchote-t-il à son tour, avec un léger sourire.

Je retiens de peu un soupir de soulagement. Il veut rester. Il ne veut pas partir. Ou peut-être le veut-il, mais il ne le peut pas. C'est ce foutu truc, cette attirance, notre meilleure amie comme notre pire ennemie, qui fait ça. On arrive pas à la contrôler. Elle est incontrôlable, totalement indomptable. Et c'est bien ça qui nous empêche de nous quitter. Enfin, elle ne nous en empêche pas, c'est juste qu'une fois séparés, elle fait tout pour nous détruire. Et finalement, c'est plus douloureux que tout, alors autant se soumettre à elle, et la laisser faire ce qu'elle veut. Certes, ça fait presque aussi mal, vu que lorsque nous sommes ensemble, on se frappe, on s'engueule, on se fait souffrir mutuellement.

Je ferme les yeux un instant. Là, je me sens à ma place. Là, je me sens moi-même. Oubliées, les bonnes manières, toutes les choses que j'ai apprises quand j'ai vu les psy, les spécialistes, qui m'ont fait redevenir quelqu'un d'à peu près banal. J'ai l'impression d'être revenue cinq ans en arrière, et qu'on est comme avant, que rien n'a changé, que tout est pareil, que je ne me suis jamais mariée, et qu'il n'est pas avec sa pétasse blonde. Comme la première fois. Ou la "deuxième" première fois. Comme avant.

Je finis par m'écarter. N'exagérons rien. Indiana reste Indiana, elle est très loin d'être douce, adorable, carrément soumise, et du genre à se laisser aller comme elle vient de le faire. Indi c'est une dominante, une insupportable peste fière et narquoise. Donc n'allons pas trop loin. Restons sur un terrain que nous connaissons. Le nôtre. Et puis, il lui faut bien faire oublier sa "douce, blonde, drôle et adorable" Alyssalope. A la poubelle, la blonde qui m'avait volé ma place. Indi Jolie est de retour, et elle compte bien retrouver ce qui lui appartient. Alors reprenons nos vilains airs de nouveau habituels.

- Et alors, Keith, t'habites où ? Laisse-moi deviner. Dans une espèce d'usine désaffectée avec tous tes potes défoncés et leur pseudo-nana trouvée sur le trottoir ?

Je lui souris, ayant repris mon sourire. Mon vrai sourire. Je disais ça juste pour plaisanter, mais peut-être qu'il habite réellement dans une usine désaffectée avec sa salope bas de gamme. A côté de ça, j'habite à côté de Manhattan, dans une grande villa de plusieurs cinquantaines de mètres carrés, avec piscine, jacuzzi, grand jardin, avec un garage rempli de quelques jolis bijoux de l'automobile de luxe. Sans compter mon dressing débordant de pièces Gucci, Chanel, Givenchy, Calvin Klein, et j'en passe. Ouais, t'es une princesse, en fait. Mais oui, bien sûr. Voilà la drôle de princesse. Elle, elle aime pas son prince. C'est une princesse rock'n'roll et plutôt moderne, moi je dis.

En fait, ta princesse, elle s'apprête à tromper son mari avec celui qui la hante depuis bien trop longtemps, le grand méchant de l'histoire, celui qu'il ne faut pas fréquenter, qu'elle a toujours aimé et haï. Elle est bizarre, tu trouves pas, ta princesse ? Indi, tu vas pas... Tu peux pas tromper Aaron. Certes, mais je peux pas m'en séparer non plus. Et de toute façon, il n'en saura rien. T'es vraiment tombée au fond du gouffre. Mais du fond du fond du fond du fond du gouffre, Indi. Tu t'abaisses à une chose que tu n'aimes pas, tu t'en rends compte ? Keith te rend complètement différente et indisciplinée, il te fait faire des choses horribles, réveille-toi, remonte à la surface. Tu peux pas tromper ton mari, Indi. J'en suis pas sûre. De quoi es-tu sûre, alors ?

Je ne peux pas me passer de Keith, ça, c'est une certitude. Et bien fondée.

Elle semble sourire. On reste dans cette position pendant encore quelque secondes, que je savoure comme si c'étaient les dernières. Puisque c'est possible. C'est possible que tout s'arrête dans quelques instants. Que face-de-banquier refasse surface et délivre sa femme chérie des griffes du grand méchant clochard peu fréquentable. Et qu'on se reperde, pour cinq nouvelles années, ou plus. Ce serait une déchirure. J'ai déjà eu trop de mal à vivre sans elle, je refuse de revivre une telle torture mentale. C'est inconcevable.

Puis, finalement, Indi recule, le sourire aux lèvres. C'était trop court, bien trop court. J'ai l'impression de ne pas avoir assez profité.


Je lui rends son sourire, sur le même ton. Narquois, sarcastique, agaçant au possible. Le sourire habituel de cette chère Indi, quoi. Mais non, désolé de te décevoir, je n'habite pas dans un bâtiment désaffecté avec une bande de junkies. En fait, ma situation n'est pas vraiment meilleure, puisque je vis avec une... Comment la décrire ? Une blonde, très jolie, et elle le sait. Et surtout, elle sait s'en servir. Concrètement, elle utilise son physique ravageur pour obtenir des rabais sur ce qui lui plait, à savoir la fumette. Donc voilà. Je vis avec je ne sais quoi, donnez lui le terme que vous voulez pour la décrire, dans une chambre miteuse d'un pauvre motel pas très cher. C'est sûr, ce n'est pas la gloire, mais ça me convient à peu près, et c'est le principal.

- Pas très loin, il suffit de prendre le bus pour y aller, je répond en indiquant la direction du motel. Puis j'ajoute, sarcastique : Tu connais le bus ? M'étonnerait que tu le prennes souvent, pas assez distingué je suppose.

Je ne nie pas vraiment son affirmation, puisque finalement elle n'a pas tout à fait tort. Elle n'a pas entièrement raison, mais il y a tout de même une petite part de vérité, aussi infime soit-elle, dans ses propos. J'habite avec une junkie, une seule, dans un endroit tellement dégueu qu'il semble désaffecté. C'est sûr que sa vie doit être bien différente de la mienne. Immense villa, dressing qui n'en finit pas, quarante trois chambres, autant de salles de bain, jardin à la André Lenôtre avec une piscine aussi grande que le Pacifique, garage rempli de Rolls Royce, BMW, cabriolets, et j'en passe. Alors, forcément, le bus, elle n'a pas dû le prendre depuis bien longtemps. Sûrement depuis plusieurs années, même.

- Et toi, alors ? Immense villa à quatre millions, sûrement bien trop grande pour toi et ton erreur, je me trompe ?

Je jette un rapide coup d'oeil à la direction indiquée par Keith, qui mène à son usine désaffectée. C'est pas une usine désaffectée, Indi... Il n'a rien nié, je te signale. Oui, peut-être mais je pense que... ça doit pas être bien net, on est d'accord. De plus, la direction qu'il a donné montre tout. C'est pas le meilleur quartier. Même pas du tout le meilleur quartier. Je remonte ma main le long de mon bras, pour venir effacer un vilain frisson. Honnêtement, ça ne m'étonne pas plus que ça que Keith habite dans un endroit pareil, mais j'aime pas ça. Là bas on est jamais à l'abris d'un gros gorille taillé comme une armoire à glace. Deux armoires à glaces. Je croise les bras sur ma poitrine. Je ne m'imagine pas aller là bas. Encore moins seule. Parce que tu comptes aller là bas, Indi ? Mais non. Non non. C'est juste peut-être... Une éventualité à prévoir ? Oui bien sûr. Je lâche seulement un "Je vois", pas vraiment rassurée intérieurement.

"Tu connais le bus ? M'étonnerait que tu le prennes souvent, pas assez distingué je suppose.", rajoute-t-il, moqueur.

Non, effectivement. Je n'ai presque jamais pris le bus. Même plus jeune. J'aime pas l'entassement de tous ces gens, là, on sait pas où ils sont allés avant de venir ici, j'ai horreur de ça. Et puis j'ai toujours eu une voiture. Enfin presque. Sinon c'est à pied, ou en taxi. Jamais de bus. Et puis c'est sûr, maintenant qu'on a une bonne dizaine de voitures, je vois pas pourquoi je prendrais le bus. J'ai le choix entre Porsche, Mercedes, Audi, Ferrari, BMW, et j'en passe. Et on est vachement mieux installé dans une bonne voiture que dans un bus miteux et complètement pourri de partout.

- Non, effectivement. Je préfère encore me déplacer en Audi, tu vois, je réponds sur le même ton.

C'est malheureux quand même. Qu'il ne puisse pas s'acheter une voiture, et qu'il doive faire tous ses déplacements en bus. En même temps, en le voyant comme ça, on douterait presque qu'il vit à la rue, ou alors sous un toit. Mais sans murs. Donc forcément, pas de voitures. Mais il est certainement plus heureux avec sa censuré que je le suis avec Aaron, même avec tout ce que j'ai. Non, je ne remets pas sur le tapis 'L'argent ne fait pas le bonheur' car c'est faux. Du moins en partie. Parce que va demander à un clochard s'il est heureux. On verra bien.

"Et toi, alors ? Immense villa à quatre millions, sûrement bien trop grande pour toi et ton erreur, je me trompe ?"

Si on devait vraiment être honnête, 7 millions, la villa. Et, effectivement, elle est grande. Je ne vais jamais dans toutes les pièces en une journée. Mais au moins, on a de l'espace. Faut dire que maintenant que je m'y suis habituée, je me vois mal habiter dans un appartement de 50 mètres carrés. Mais même si ma maison faisait 100 mètres carrés, ce serait bien. Ce serait mieux. Si j'étais seule. Certes, je n'aurais pas la moitié de ce que j'ai, mais bon. Je serais mieux. Mais c'est ainsi.

- Effectivement, c'est plutôt grand. Surtout quand on y est seul.

Je laisse échapper un soupir. Ouais, bon, d'accord, je suis souvent seule à la maison. Mais je veux dire seule, célibataire quoi. Pas mariée, tout du moins. Oui parce que sinon, je suis pas toujours avec Aaron, vu qu'il est souvent parti ailleurs. Londres, Paris, Tokyo... Le boulot, vous comprenez. Et il peut y rester quelques mois. Moi, il m'arrive de quitter New-York, mais c'est pour deux-trois jours, et ça n'arrive pas souvent. Et puis je ne vais pas jusqu'à Paris. Los Angeles, San Francisco... C'est tout. Je dois avouer que même si je n'aime pas Aaron, je trouve le temps long lorsqu'il n'est pas là.

- J'suppose que c'est plus facile de se procurer ce qui te plait, là où t'es. Je me trompe ?

Faudrait que je trouve une excuse pour que je m'éclipse ce soir. Je me vois très mal quitter Keith maintenant. Et pourtant c'est là que je devrais partir, parce que je doute qu'Aaron discute encore très longtemps avec son collègue.

Suite à ma réponse, Indi lâche un simple "je vois", presque de dégoût. Je ne sais pas trop comment le prendre. Assez mal, normalement. Mais finalement, ça me fait rire. Je sais très bien qu'elle n'a absolument pas la même vie que moi actuellement, rien qu'aux fringues on peut le déduire. On dirait "la Belle et le Clochard", le fameux dessin animé. Bien que ma situation se soit vraiment améliorée par rapport à l'avant Enamor, par exemple. Je ne dors plus dans une tente, c'est déjà ça. Mais c'est sa réaction, on dirait une bourge qui découvre un quartier populaire, on a l'impression qu'elle pourrait vomir son déjeuner au restaurant gastronomique d'une seconde à l'autre.

Apparemment, Mademoiselle n'a jamais pris le bus. Elle préfère se déplacer en Audi, voyez-vous. Le contraire m'aurait étonné, en fait. Je lui lance un regard dédaigneux, moqueur, mais accompagné d'un sourire, comme pour lui dire "Mais qu'est-ce que tu fous là, ma pauvre."


C'est dingue, ça. Même avec toute la richesse du monde, elle trouve encore moyen de se plaindre. J'avoue que je ne comprends pas trop. Je me demande si elle préfèrerait vivre dans une pauvre chambre dégueulasse d'un motel tout aussi dégueulasse, avec une gamine qui ne sert qu'à obtenir des rabais sur ce qui m'intéresse, et à ne pas avoir froid en me réveillant le matin. Parce que je suis loin de l'aimer, la blonde, et c'est certainement réciproque. On se suffit l'un à l'autre. Indi, elle, elle a un mari qui l'aime, de l'argent qui semble couler à flots, une grande villa, comment elle pourrait se sentir seule avec tout ça ? Je suis loin de l'envier, puisque cette vie facile ne m'intéresse pas du tout. Mais si on me la proposait, je ne refuserais pas tout de suite.

- Comment ça, seule ? Quand je te vois, j'ai seulement l'impression que la solitude fait pas partie de ton vocabulaire.


Par "ce qui me plait", on est bien d'accord, on entend la dope. Elle est bien au courant, pour tout ça. Je ne m'en vante pas, mais les quelques fois où on a eu l'occasion de se voir à l'université, on s'est engueulés à cause de ça. Parce qu'elle s'amusait à me les piquer, et à me faire péter un câble. Et croyez-moi, ça avait beau être drôle pour elle, ça l'était beaucoup moins pour moi. Mais finalement, ça me plaisait. Dans le livre de l'incompréhensible, ce serait un très long chapitre à aborder.

- J'ai jamais vraiment eu de mal à m'en procurer, mais j'avoue que c'est quand même moins cher maint...

Je suis coupé par une vision au loin, qui semble s'approcher petit à petit de nous. Face de banquier, alias la très probable erreur d'Indi Jolie ? Je n'en suis pas certain, mais en tous cas ça y ressemble beaucoup.

- Oh. Tu le connais, celui-là, non ?

Suite à ma remarque plutôt moqueuse, Keith me lance un regard du même genre, mais avec une expression qui ne me plait pas du tout. C'est moi, qui lance ce genre de regard, généralement, puisque c'est moi qui domine. Aller, et c'est reparti. Vous me préviendrez quand vous ne vous haïrez plus. Je risque pas de te prévenir tout de suite, ma pauvre.

"Comment ça, seule ? Quand je te vois, j'ai seulement l'impression que la solitude fait pas partie de ton vocabulaire."

C'est pas parce que mon compte en banque est plein à ras bord, que mon répertoire l'est. Indi a toujours été Indi, et elle ne risque pas de changer. Je n'ai jamais eu d'amis, à part Olivia. Je l'ai connu y a 9 ans, et sans elle, j'en serais pas là maintenant. Je l'ai perdue de vue pendant plus d'un an, avant de la retrouver y a 4 ans. Et elle m'a aidée de nouveau. Et c'est bien la seule qui est restée. Bref. J'suis seule parce qu'Aaron n'est jamais là. Et que j'ai pas vraiment d'amis pour me tenir compagnie. Je ne travaille pas tous les jours, comparé à Olivia. Donc je m'emmerde une bonne partie de mon temps, c'est cool. Pfuh.

- Aaron n'est pas toujours à la maison. Il est d'ailleurs rarement là.

Je n'avoue pas la première partie. J'allais certainement pas lui dire 'Oh, tu sais, j'sais pas si tu te souviens, mais j'ai jamais eu beaucoup d'amis, mon cher Keith.'. Sinon ça me fait un point faible, bien qu'il le sache. Après, j'sais pas si il s'en souvient. Vaut mieux pas.

"J'ai jamais vraiment eu de mal à m'en procurer, mais j'avoue que c'est quand même moins cher maint..."

Il s'interrompt alors, regardant plus loin. Je me retourne et découvre alors Aaron, qui avance petit à petit vers nous. Eh merde merde merde. Je ne m'habille plus jamais tout en blanc.

"Oh. Tu le connais, celui-là, non ?"

Je serre les dents, commençant à me tordre les doigts. Je fais un pas en arrière, puis un autre, mes talons claquant contre le béton. Je ne prends même pas le temps de répondre à Keith, j'avance à grands pas vers la boutique d'Olivia. Vite, vite, vite.

Je passe la porte rapidement, et m'avance vers la caisse, où une grande blonde est debout de l'autre côté, remettant quelques trucs en place.

- Olivia, on parle depuis quelques minutes déjà, d'accord ? Je t'expliquerai plus tard.
- Qu'est-ce que t'as encore fait, Indiana ?
- Je l'ai retrouvé.
- Hein ?

Je penche légèrement la tête sur le côté, plantant min regard dans celui de mon amie, lui demandant silencieusement le silence.

Ah ? Tiens, c'est bon à savoir. Ça m'étonnerait que j'aille un jour chez elle, m'inclure dans sa "nouvelle vie", puisqu'elle n'a peut être pas envie d'être perturbée par un élément comme moi perdu de vue et qui viendrait ébranler du jour au lendemain son train-train quotidien. Mais si elle est comme moi, c'est à dire que si elle refuse qu'on se perde à nouveau, on pourrait imaginer se revoir. Mais pas dans un lieu public, ce serait trop dangereux. Donc, si son cher mari n'est pas souvent là, la fameuse villa de multimillionnaire ferait très bien l'affaire. Ma chambre dégueulasse pourrait convenir également, mais déjà que Princesse Imprévisible ne prend jamais le bus, je doute fort de la voir dans un environnement aussi... Modeste, dirons-nous. Enfin. A voir.

Indiana remarque que son erreur s'approche de plus en plus dangereusement de nous. Comme sous le choc, elle ne me répond pas. Elle recule, petit à petit dans un premier temps, puis très rapidement, dans je ne sais quelle direction. Je la regarde d'un coup d'œil s'en aller, entrant dans un magasin. Je ne la rejoins pas pour autant ; pour se cramer il n'y aurait pas pire.

Face de banquier, qui semble ne pas avoir vu dans quelle direction est partie sa bien-aimée, m'adresse la parole, une fois à mon niveau. Il a un regard pseudo supérieur, je déteste ça. Je prends le même air que lui. Je n'ai presque rien à lui envier, il ne me rabaissera pas.

- Eumh... Par où est passée ma femme ? Une brune, habillée tout en blanc, hauts talons. J'ai cru vous voir vous parler il y a un instant, demande-t-il, presque dégoûté de devoir se forcer à me parler.
- Ah non, pas du tout, j'ai vu personne moi, je réponds en haussant les épaules, faussement étonné.

Le mec reste me fixer un moment, tentant de déceler le moindre doute, le moindre mensonge, dans ma voix ou dans mon regard. En vain. Il ne trouvera rien. J'ai tellement dû mentir pendant mes années à l'UE pour cacher ce qui m'était arrivé, que désormais on pourrait presque croire à n'importe quelle connerie sortie de ma bouche. Je tiens donc son regard. On dirait un défi. Qu'il perd rapidement. Il souffle, agacé, puis s'en va vers le fameux magasin où est partie se cacher Indiana. J'en conclus que c'est une habitude pour elle, de s'y rendre ; tellement que l'autre se doute qu'elle y est. Il entre.

Je serre la mâchoire. C'est extrêmement frustrant. On ne s'est pas vus pendant plusieurs années, et maintenant qu'on se retrouve, ce n'est que pour quelques minutes. Réfléchissons. Ça ne peut pas se terminer comme ça. Ça ne peut pas se terminer tout court. C'est impossible.

Une idée me vient alors soudainement en tête. Rien de très original, mais ça peut marcher. Qui ne tente rien n'a rien : je sors mon carnet de croquis et, avec ma bombe noire, y tague l'adresse du motel.

J'attrape mon sac, et avance vers le magasin, le carnet sous le bras, en faisant bien attention à ne pas couvrir un mot ou une lettre. Ce serait plutôt fâcheux. Puis, au niveau de la boutique, je fais mine de regarder la vitrine. A l'intérieur, le MacAaron, dos à moi, discute avec Indi Jolie. Une blonde prend également part à la conversation. J'essaie d'intercepter le regard de la brune, espérant que la blonde ne viendra pas tout faire tomber à l'eau.

Oui, j'ai toujours tout dit à Olivia, depuis que je l'ai retrouvée. Elle sait tout. Enfin presque. Le fait que je ne puisse pas me passer de Keith, je l'ai pas mentionné. Je lui ai juste dit qu'il me manquait, pas qu'il m'obsèdait. Mais c'est déjà bien assez, croyez-moi. Et visiblement, elle a l'air aussi étonné que moi il y a quelques minutes, alors que je sortais du restaurant avec Aaron.

- Tu veux dire que... ?
- Ouais.

Je souffle, agacée par sa curiosité. Ça, c'est tout elle. Tu lui dis de se taire, mais elle fait tout le contraire. Mais bon. Je commence à être habituée, avec le temps, je sais que le 'ouais' que je viens de lâcher sèchement est la seule manière de la faire taire sans s'énerver.

Le tintement de la clochette lorsque quelqu'un entre me fait serrer les dents. Aaron. Je me retourne avec un sourire. Indiana Wyatt, et non plus Indi Jolie. Sinon t'es foutue. Je sais, merci.

- Eh bien, et après ce sont les femmes les pipelettes ? Laisse-moi rire, amour.

Il aurait pu rester parler encore longtemps, je ne m'en serais pas plainte. Au contraire, encore quelques minutes m'aurait suffi. Mais non, il vient foutre son nez là où il faut pas. Et si Keith s'en allait ? Oh, j'aurais pas l'air conne après. Je l'ai retrouvé ! Je l'ai perdu de nouveau. Non, franchement. Ce serait tout simplement horrible en fait.

- Veux-tu vraiment vérifier ça, Indi ?, demande-t-il avec un sourire.

Non, tais toi va-t-en. Indiana ! C'est bon, il me semble que je joue parfaitement la faux-cul. Je suis juste agacée d'avoir été pareillement interrompue. J'ai horreur de ça, tu le sais, me semble-t-il.

- Je ne pense pas que cela soit nécessaire, hein Olivia ?

Mon regard est attiré par autre chose, dans la vitrine. Keith. Il est de l'autre côté, il tient son calepin, une adresse est notée dessus. Qu'est-ce que.. C'est là-bas qu'il habite !

- Amour ?, m'appelle Aaron. Il y a quelque chose qui te plait dans la vitrine ?

Il s'apprête à se retourner, mais j'attrape sa main, l'entraînement un peu plus loin, prétextant avoir vu une paire de chaussures qui s'assortirait magnifiquement bien à la robe de la boutique d'en face. C'est la vérité, et, en plus, ça l'empêche de tout foutre en l'air. Je jette un coup d'oeil à la blonde, lui désignant la vitre du menton, discrètement.

- Demi, occupe-toi donc de la commande de monsieur et madame, s'il te plait.

La vendeuse acquiesce d'un signe de tête et nous précède dans les rayons, tandis que la patronne attrape un crayon. Dieu soit loué, tout est réglé, tout va bien dans le meilleur des mondes.

Quelques minutes plus tard, les chaussures sont emballées, et Aaron règle bien sagement à la caisse avec la vendeuse. Mon amie s'approche de moi et me remet le bout de papier où est notée l'adresse de Keith. Olivia, je t'aime. Baissant les yeux vers la feuille, je me mords les lèvres. Effectivement, pas le meilleur endroit pour se balader.

- Fais pas n'importe quoi, Indiana.
- Tu me connais.
- Raison de plus.

Je parviens à intercepter le regard d'Indiana. C'est le principal. Je constate également que la blonde est, en quelque sorte, une "complice" d'Indi Jolie. En effet, tandis qu'une vendeuse emmène le couple un peu plus loin, celle-ci note, comme prévu, l'adresse du motel. Je lui souris et hoche la tête, fier de ce plan à l'origine foireux mais qui s'avère finalement être très efficace.

Puis je range mon carnet et m'en vais. Je n'ai plus trop l'esprit à grapher aujourd'hui. En quelques minutes à peine, toutes mes idées se sont embrouillées.Je serais incapable de trouver l'inspiration, même avec un peu d'aide illicite, pour créer un chef-d’œuvre. Je préfère me poser, pour réfléchir à tout ce qui vient de se passer. Mieux vaut retourner au motel.

Je prends le premier bus dans la bonne direction, et me retrouve assez rapidement au pied du bâtiment, sac sur le dos. J'entre dans la chambre. Alyssa sort tout juste de la salle de bain, une de mes chemises en jean sur le dos. Elle me sourit et me saute au cou pour m'embrasser. Je peine à me retenir de la pousser. Mais la repousser serait trop suspect car, malgré la supposée totale liberté entre nous, j'ai constaté qu'elle est de nature possessive et suspicieuse, voire parfois à la limite de la paranoïa. En gros, la liberté ne va presque que dans son sens. Enfin, elle se rendra bien compte un jour que, si elle continue à poser tant de questions, je m'agacerai de trop, je finirai par me casser. De toute manière, je me casserai bien un jour ou l'autre, donc bon.

- Salut Keith ! Ça va ? Tu rentres tôt, aujourd'hui !, lance-t-elle, le sourire aux lèvres.
- Ouais, j'ai trouvé nulle part où taguer, je réponds en jetant nonchalamment mon sac au pied du lit.

A cet instant, je voudrais tellement lui dire "ferme ta gueule, laisse-moi tranquille, j'ai pas envie de te voir, ni même de te parler." Je voudrais être seul, sans l'avoir dans mon champ de vision. Mais non, cette cruche à l'air enjoué me parle, comme si de rien n'était. En même temps, elle n'est au courant de rien.

- Ah merde...

Elle repart dans la salle de bain pour se changer, et reprend.

- Je pars bosser dans une demi-heure, et après je vais directement chez Luke, il fait une petite soirée. On se rejoint là-bas ?

J'ignore totalement dans quoi elle bosse. Elle n'a pas d'uniforme particulier comme l'ont les caissiers de fast-food par exemple, elle n'a pas d'horaires fixes, et ne s'habille pas vraiment différemment de pour la vie quotidienne. Ce sujet est complètement flou pour moi ; et à vrai dire, je préfère qu'il le reste, puisque je peux émettre quelques suppositions plutôt déplaisantes sur sa composition, si vous voyez ce que je veux dire. Quant à Luke, c'est un ami en commun qui organise très régulièrement des soirées dans son studio. Il ne se vexera pas si je n'assiste pas à celle-ci. Et puis, ce sera l'occasion de me retrouver enfin seul. Je m'assieds sur le lit.

- Ouais nan, je pense pas y aller, je suis pas trop d'humeur à sortir.

Aly passe sa tête dans l’entrebâillement de la porte, les yeux écarquillés, une légère moue sur son visage. Déçue ? Non, je ne pense pas. Au contraire, j'imagine plutôt qu'elle appréciera une soirée tranquille, sans moi dans les parages. Et ce sera bien réciproque.

- Comme tu le sens. Si tu changes d'avis d'ici là, on se retrouve ce soir. Sinon, je pense pas rentrer d'ici demain après-midi, donc t'étonne pas de ne pas me voir avant quatorze heures.

Elle sort à nouveau, habillée et maquillée. Elle attrape son sac en vitesse, enfile ses chaussures, et m'embrasse brièvement.

- Bon, j'y vais, à plus tard !

Je souris d'un sourire forcé et la regarde fermer la porte derrière elle. Une fois sortie, je m'avachis sur le matelas, passe mes mains sur mon visage, et regarde le plafond, neutre, pendant quelques minutes. Bon. Remémorons-nous l'heure qui vient de s'achever.

Mais d'abord, roulons-nous plutôt un joint.

Olivia s'inquiète toujours un peu trop pour moi. Elle s'est toujours inquiétée, depuis qu'on se connait, et encore plus depuis l'épisode 'Jake'. Elle a peur que je tombe de nouveau dans une sorte de routine identique, engueulade, violence, réconciliation. Et depuis qu'on s'est retrouvées, cet instinct protecteur n'a cessé de se développer. Mais j'ai l'habitude, et elle sait savoir se retenir de jouer à la maman poule. C'est certes une épreuve quasi insurmontable pour une personne comme elle mais elle le fait. Après que je l'aie rassurée pas mal de fois, je l'avoue.

Revenue près d'Aaron après avoir soigneusement rangé le papier à un endroit où personne viendra le chercher - enfin j'espère hu - je peux voir que Keith n'est plus là. Il est sûrement retourné chez lui. Et je crois que nous n'allons pas tarder non plus, après que mon mari m'ait acheté la magnifique robe rouge bustier dans la boutique d'en face.

Alors que je prends Olivia dans mes bras pour lui dire au revoir,elle me murmure encore un 'Ne fais pas de bêtises' auquel je réponds par un soupir. Je lui souris, tandis qu'Aaron s'approche de la sortie. Je relâche mon amie puis suis Aaron jusqu'à la boutique d'en face, encore perdue dans mes pensées. Pensées d'ailleurs très très embrouillées, qui me mettent mal à l'aise lorsque je suis avec mon mari.

Alors ça y est, maintenant, tu l'appelles 'ton mari', plus 'ton erreur' ? Fous-moi la paix, toi. Aucune conscience. Tu te rends quand même compte que tu as embrassé un autre homme que celui avec lequel tu es mariée ? Que tu désires quelqu'un d'autre que la personne avec laquelle tu vis ? Indiana, tu veux tromper Aaron ! J'ai jamais dit ça. Tu l'as pensé trop fort. Bien sûr.

Nous entrons dans la boutique, et le temps de désigner à la vendeuse la robe, et je me retrouve dans la cabine d'essayage. J'ajuste correctement le bustier et tire le rideau. Aaron, qui regardait par la vitre, les mains dans les poches de pantalon de son costume se retourne et semble surpris, expression de surprise bien vite effacée pour laisser place à un joli sourire.

- Tu es superbe, Indiana.

Il s'avance vers moi et replace une mèche rebelle, finissant par m'embrasser au coin des lèvres. Il s'écarte, appelant la demoiselle. Je tire de nouveau le rideau. Tu n'arranges rien Indiana. Je sais.

- Merci beaucoup., dit Aaron, attrapant le paquet contenant la petite merveille à quelques centaines d'euros.
- C'est moi qui vous remercie, passez une bonne journée.

Une fois installés dans la Porsche rouge, je m'avance vers Aaron et l'embrasse avec un grand sourire. Le genre de sourire que fait une petite fille trop gâtée, qui vient de recevoir un énième cadeau.

- Merci, elle est magnifique
- C'est surtout le mannequin, qui est magnifique.

Il sourit, démarrant la voiture, il finit par prendre ma main, enlaçant mes doigts avec les siens.

Ma veste se retrouve rapidement sur le lit, mes chaussures non loin de là, et le reste de mes vêtements suivent le même chemin. Je m'enroule dans mon peignoir, m'attachant rapidement les cheveux. Je redescends à la cuisine, attrapant un verre et une bouteille de vodka. Une de mes meilleures amies. On s'entend si bien.

Aaron devait partir ce soir, au dernier moment il a eu un appel d'un de ses collègues. Un remplacement à faire à Pékin. Grand bien lui fasse. Je suis épuisée, et j'ai envie d'être seule. Comme avant. Où j'étais vraiment moi. Où je pouvais faire ce que je voulais. Et je compte bien recommencer un peu.

Je me laisse glisser contre le mur, avalant mon premier verre d'une traite. Mmh, ça brûle. J'avais oublié combien ça faisait du bien. J'avais presque perdu l'habitude. Presque seulement. Deuxième verre. Je rattrape le papier coincé dans mon soutien-gorge, relisant l'adresse. C'est là bas qu'il est, en ce moment. Il est peut-être avec sa blondasse, bien au chaud sous la couette. Je soupire, vidant un autre verre, m'asseyant correctement en tailleur. Je tape mes ongles contre le cristal, me relevant avant d'être complètement saoul.

J'y arrive pas. J'en ai marre. Faites le moi sortir de là-dedans, par n'importe quel moyen. J'arrive même pas à croire que je l'ai eu en face de moi pendant quelques minutes. Je réalise pas. Le quatrième verre va m'aider, j'en suis persuadée. Indiana, l'alcool ne t'a jamais aidé à aller mieux. Je veux pas aller mieux, je veux redevenir ce que j'étais.

Je ne vois pas l'après-midi passer. Une fois Aly partie "travailler", je me retrouve seul avec mes pensées qui m'encombrent l'esprit. J'ai un de ces mal de crâne... Il faut que je me vide la tête.

Je sors une barrette de shit d'une commode, et roule un premier joint. C'est pas bien, fumer c'est mal, ça raccourcit la vie, ça cause des addictions, patati patata. Je sais tout ça, je le sais. Sauf qu'aux dernières nouvelles, je n'ai encore rien trouvé de plus efficace pour arrêter de s'embrouiller les idées comme c'est pour moi le cas en ce moment. Je m'étais dit un jour que j'arrêterais, et j'ai même essayé, mais on se sent tellement bien, tellement léger, quand on consomme, qu'on oublie les risques et qu'on se focalise sur l'agréable instant présent.

Sauf que j'ai désormais bien trop l'habitude. Mon métabolisme s'est habitué à cette substance, si bien que ce joint, bien que dosé de manière respectable, ne me procure qu'une très légère sensation de béatitude. Alors j'en reprends un autre. Et encore un. Et un dernier. Puis je m'endors, une heure ou deux, enfin un peu assommé par la fumette.

A mon réveil, je regarde l'heure sur mon portable : presque vingt heures. Mais je n'ai pas faim. J'ai juste encore plus mal au crâne que tout à l'heure, et en plus de ça, j'ai la gorge sèche. Et je n'ai toujours pas envie de réfléchir à tout ça. Indiana est revenue, on s'est revus, en à peine quelques minutes on a retrouvé cette relation tellement étrange qu'on a pu entretenir quelques années auparavant. On a eu le temps de s'embrasser, et de s'engueuler. Heureusement, cette fois il n'y a eu ni vol, ni coups, ni pleurs. Mais si on se revoit, il est fort probable que tout ceci refasse également surface. D'un côté, ça m'inquiète ; de l'autre, ça m'attire. Et cette dualité comportementale est vraiment compliquée à gérer. Pas étonnant que j'aie aussi mal à la tête, avec tout ça.

Il fait bien trop chaud dans la chambre. Et j'ai mortellement soif. J'ouvre le minuscule frigidaire de la pièce, et en sors une bouteille de vodka bien fraîche. J'en bois quatre grosses gorgées d'un coup. Aah bordel, ça arrache. Et en même temps, ça désaltère un peu. Et ça évite de trop réfléchir. En gros, cette bouteille est à peu près tout ce don j'ai besoin à cet instant précis.

Puis je sors prendre l'air sur le balcon de la chambre. Il est très petit, mais c'est suffisant. Je m'appuie contre la barrière, avalant une nouvelle gorgée de feu liquide, et admire passivement les voitures défiler sur la route juste à côté, attendant le coucher du soleil. Encore une gorgée. Cette soirée promet d'être très longue.

Je souffle, regardant par la fenêtre, je repose mon verre et la bouteille sur la commode, appuyée contre le mur. Indiana, mais qu'est-ce que t'as fait... Moi ? Mais rien du tout, j'ai juste un peu bu. Un peu ? Tu veux me tuer là ? Tu t'es enfilée... La moitié de la bouteille, Indi ! Ça fait du bien, je te jure. Ouais, c'est ça. En attendant, t'as de la chance de bien tenir l'alcool, sinon tu tiendrais plus debout, à mon avis. Tu crois ? Moi j'en suis pas certaine.

Va prendre une douche, Indi. Non, pas envie. Si. Ou un bain de glaçons, comme tu veux. Non plus. J'ai envie d'aller le voir. Impossible. Pourquoi ? T'es complètement saoule, Indi, tu peux pas prendre le volant ! En plus, t'es à moitié nue. Fait chaud. N'importe quoi. Tu sais quoi, si t'as si chaud, va prendre une douche. Je t'ai dit que j'avais pas envie. Écoute, en plus du mal de tête que tu vas te taper demain matin, j'y ajouterai ma dose, alors tu vas prendre une douche, Indiana Phoebe Sherw... Wyatt. T'as vu, ça me va pas, ce nom, tu le zappes toi-même. À la douche. Ouais, ouais, j'ai compris.

Je ramasse mon peignoir, à mes pieds, pour le balancer sur le lit, pour rejoindre la salle de bains, non sans trébucher. Le temps de remplir la baignoire et de retirer le peu de vêtements qui me reste sur le corps et je me plonge dans l'eau tiède. Je défais rapidement mon chignon, relâchant mes cheveux avant de m'immerger totalement.

Je renfile un jean et passe rapidement un haut. Je me laisse tomber sur le lit, soupirant. Mon dieu. Mon regard se fixe sur le plafond. Je le veux. Je veux le revoir. Indiana, t'es toujours pas en état de conduire. Ofh. M'en fous un peu, à vrai dire. J'suis toujours plus fraîche que tout à l'heure. Ça va faire... 2 heures qu'j'ai pas touché à de l'alcool. Il n'empêche. Tu pourras pas m'empêcher de faire ce que je veux, là, sois en certaine.

J'enfile des chaussures, attrape ma veste et redescends au rez-de-chaussée. Ouvrant un placard, j'attrape une autre bouteille. Faut jamais arriver les mains vides, on dit. Je passe par l'entrée, attrapant les clés de la Mercedes avant de sortir par la porte de derrière, rejoignant notre immense garage. Le temps que le portail automatique s'ouvre et me voilà en route, après avoir rentré l'adresse dans le GPS. Connais pas particulièrement ce coin, alors bon. Autant se servir des outils que l'on a à disposition.

Il fait déjà nuit noire lorsque j'arrive à l'adresse qu'indique le bout de papier, et donc le GPS. Cool. Je coupe le contact, regardant devant moi. Qu'est-ce que je fous là, sérieusement. Pourquoi j'ai fait ça... Je soupire, restant bien cinq minutes sans bouger, dans l'obscurité seulement troublée par la lumière blafarde des lampadaires pas vraiment en état du motel. J'attrape mon sac et finis par ouvrir la portière, sortant de la voiture. Les phares clignotent, signe que l'auto vient de se verrouiller.

Mes talons claquent un peu trop fort sur le béton à mon goût. Et je me dépêche de rejoindre le numéro de la chambre qui m'intéresse. Pas que j'aie peur mais... J'aime pas c't'endroit. Je me sens pas spécialement en sécurité. Une fois devant la porte, je sonne. T'imagine, s'il est avec elle. Non, je veux pas. Qu'ils sont dans une position... Délicate. Tais-toi. Et qu'il te referme la porte au nez. La ferme. Et qu'il ne veut plus te voir. Mais ferme ta gueule bordel.

Je suis resté appuyé contre la barrière du balcon pendant un temps assez indéterminé. Mais à force de boire, je tenais difficilement sur mes jambes. Alors j'ai préféré m'asseoir, et regarder les étoiles apparaitre une à une dans le ciel, une fois le soleil couché. Mmh. Que de poésie, n'est-ce pas. A vrai dire, généralement, je regarde ça comme je regarderais un vieux navet à la télévision, si celle de la chambre se donnait la peine de fonctionner. Un problème d'antenne, sûrement. Au pire, ce n'est pas ce qui m'importe le plus, je ne suis pas vraiment accro aux écrans, donc bon. Les étoiles me conviennent. Surtout dans l'état dans lequel je suis, c'est d'autant plus beau à voir. En général, je regarde le ciel étoilé comme si c'était un vieux fond noir avec des points blancs. Mais avec un bon coup dans le nez, tout semble différent. C'est comme emmener un gosse à Disneyland. On a l'impression que les étoiles sont les choses les plus merveilleuses qui puissent exister, on les admire avec des yeux pétillant d'émerveillement, et un sourire complètement con qui, pour rien au monde, ne pourrait se déloger de notre visage. C'est très beau. En plus, à cette époque, il n'est pas très rare d'apercevoir quelques étoiles filantes. J'en ai déjà compté quelques unes, depuis que je suis posé par terre. C'est très beau, ouais. Vraiment très beau.

Mais bon, inutile de crécher là toute la nuit. Indiana ne vient pas, il est vingt-deux heures passées et elle n'a toujours pas daigné montrer sa tronche. Elle ne viendra pas, j'en suis presque certain. Et c'est normal, je n'aurais même pas dû l'attendre, Mademoiselle doit être en train de batifoler avec son erreur multimillionnaire, à l'heure qu'il est. Ce n'est pas parce que moi j'ai pu me retrouver seul et tranquille, sans Alyssa sur le dos, qu'elle a pu en faire de même ; et surtout qu'elle a bien voulu en faire de même. On n'en a pas parlé, alors comment est-ce qu'on aurait pu prévoir de se retrouver ce soir ? Je ne comprends même pas pourquoi l'idée m'est venue en tête. Alors on va gentiment se lever, pour gentiment aller se coucher.

J'appuie une main contre le sol, pour tenter de me redresser. Eh merde, j'aurais pas dû boire autant. J'ai la tête qui tourne un peu mais, après un ou deux essais, me voilà enfin debout. Et il fait terriblement chaud. L'été sera caniculaire, pour sûr. Mon t-shirt me colle au dos, il n'y a pas une once de vent pour rafraîchir, ne serait-ce qu'un minimum, la température. Et le climatiseur de la chambre ? Ahah, la bonne blague. Il n'y en a pas, évidemment. Juste un pauvre ventilateur, aussi inutile qu'une paire de chaussettes dans des tongs. Dernière solution, donc : une douche. La douche me semble absolument vitale. Je pose donc la bouteille, aux trois quarts vide, au pied du lit, titude légèrement jusqu'à la petite salle de bain, et vire mes fringues, pour enfin laisser couler l'eau et me rafraîchir.

A la sortie, j'entends un bruit de pas dans le couloir. Ce n'est sûrement pas le voisin, qui reste cloitré dans sa chambre depuis des semaines. Ça ne peut pas non plus être Aly, puisqu'elle rentre toujours soit pieds nus pour ne réveiller personne, soit le lendemain après-midi. Alors l'espoir remonte un peu.

Un peu plus, quand le bruit de talons s'intensifie et s'arrête net devant la porte de ma chambre. J'enfile rapidement un jean et un haut ample, et récupère la bouteille presque vide, en avalant une nouvelle gorgée. La douche m'a permis de m'éclaircir un peu les idées, je suis donc bien plus conscient qu'une dizaine de minutes auparavant. Il vaut mieux, parce qu'accueillir quelqu'un en lui gerbant dessus, c'est plutôt bof.

On sonne.

Je m'approche de la porte, et ouvre. Et découvre, sur le pas de la porte, Indiana l'imprévisible. Indi Jolie. Je ne la salue qu'en levant ma main tenant la bouteille, et lui adresse un sourire sincère, le plus sincère qui soit. Puis je l'invite à entrer, d'un signe de la tête.

Ce fut la plus belle étoile qui m'ait été donnée de voir ce soir.

Faut se préparer à toute éventualité, Indi. Qui te dit, d'ailleurs, que c'est pas elle qui va t'ouvrir, hein ? Elle aura juste enfilé un haut à Keith, histoire de pas venir ouvrir dans une tenue plus que légère, et tu verras sa tignasse blonde apparaître à la porte, te demandant ce que tu fais là, à une heure pareille en plus, si tu avais peut-être besoin d'un renseignement. Et là tu te trouverais bien conne, tu marmonnerais un "Excusez-moi, je me suis sûrement trompée." et tu repartirais, bien plus que déçue, et là, oh là, j'imagine pas le désastre...

Bon ça va, t'as fini oui ou merde ? Va pas me porter malheur. Pourquoi il aurait gardé sa pétasse s'il voulait qu'on se voit, hein ? Qui t'as dit qu'il voulait que vous vous voyez ? Eh ben... Personne, tu vois. Il m'aurait pas donné son adresse sinon. Mais bien sûr. Aller, fous-moi la paix, merci. T'as peur Indi ? La ferme bon sang.

La porte s'ouvre, je retiens mon souffle. Keith. J'expire, soulagée, esquissant un sourire. Il a juste l'air pas très très frais - comme moi y a quelques heures, enfin, peut-être pas autant - et on s'en doute, à la bouteille déjà bien entamée qu'il lève pour me saluer. Il m'adresse un sourire, un beau sourire sincère. Moi aussi, je suis contente de te voir, Keith.

D'un signe de tête, il m'invite à entrer. Je fais un pas en avant, et puis un autre. Mes talons claquent beaucoup moins. Et... C'est sûr, c'est pas chez moi. Pas du tout, même. C'est pas immensément grand, et c'est pas aussi propre, disons. Fais gaffe, Indi, tu risquerais de souiller tes Louboutins. Haha, très drôle, franchement. Je fais un tour sur moi-même, avant de revenir en face de Keith.

- Tiens, Keith, en plus, il t'en reste pas tellement.

J'agite la bouteille de vodka devant ses yeux avec un sourire. Et bon sang, il fait pas frais ici. Encore, à la maison, y a un système d'aération, et du coup, il fait jamais une chaleur étouffante, mais ici... C'est une toute autre histoire. Doit pas avoir. Ça doit être horrible, l'été. Enfin bon, tout ça pour dire que je me permets de retirer ma veste (lestrippokercommencesanslepoker~) et de la poser... Quelque part où du Balmain ne peut pas être abîmé ? Oh, mais tu vas la fermer, toi ?

- Et donc... Tu vis là, avec... Elle ?

J'ai oublié son nom, à la pétasse. En même temps, c'est pas bien important. Elle pourrait s'appeler Jane ou Mary, son surnom serait toujours le même. Et elle serait toujours la nana qui se fait Keith tous les soirs. Ou presque. Donc, on se fout de son nom.

Indiana entre dans la chambre, l'air légèrement inquiète. Peut être un peu répugnée par le lieu. Bah ouais, désolé Indi Jolie, ça change un peu de chez toi sûrement. Chacun ses moyens, hein. Personnellement, je suis assez satisfait de mon lieu de vie. Ce n'est pas le grand luxe, certes, mais ça me convient parfaitement. Je ne passe que très peu de temps ici, en général j'y dors, et c'est à peu près tout, mises à part quelques exceptions comme aujourd'hui. Et encore, je n'y dors pas toujours, puisqu'il m'arrive très régulièrement de squatter chez un pote puis chez un autre, et de ne revenir ici que quelques jours plus tard. Enfin bref, tout ça pour dire qu'une villa de luxe ne me serait pas vraiment utile, vu que je passe les trois quarts de mon temps à l'extérieur.

Après avoir fait un tour sur elle-même pour inspecter les locaux, elle agite alors une bouteille de vodka pleine devant mes yeux, avec un sourire inscrit sur le visage.


Je lui rends son sourire et attrape sa bouteille, que je range un temps dans le petit réfrigérateur, avec celle presque vide que je tenais dans mes mains en lui ouvrant la porte. Histoire de se rafraichir un peu ; bien que laisser deux bouteilles pendant cinq minutes au frais ne soit pas très utile. Mais c'est qu'on crève de chaud, là. Ou alors ce n'est que moi, mais ça m'étonnerait.

Et non, il n'y a pas que moi à suffoquer. En effet, la brune retire sa veste. Elle peine d'ailleurs à trouver un emplacement pour poser la pièce de haute couture, qui doit d'ailleurs couter trois fois plus cher que mon loyer mensuel, huhu. Je la lui attrape donc des mains, et la pose délicatement sur le ventilateur à l'arrêt, pour ne pas froisser une si belle création.


"Elle". Connaissant Indiana, je me serait attendu à ce qu'elle finisse sa phrase par "ta pétasse", "la blondasse décolorée" ou encore à une phrase du genre "Et elle est où ta salope de bas étage, partie bosser ?" Mais non. Un simple "elle". Voilà qui est appréciable. Qui sait, peut-être se met-elle à respecter les gens qu'elle ne connait pas, en particulier les filles qui me tournent autour ? ... Ouais, nan en fait. Elle a simplement dû oublier son prénom.

- Avec Aly ?, je réponds. Ouais, en effet, mais elle est de sortie ce soir. Tu m'excuseras d'ailleurs pour l'accueil, on est loin des suites présidentielles des palaces à la française.

Ça, elle a bien dû s'en rendre compte, c'était même sûrement inutile de le préciser. Mais vaut mieux le dire quand même, elle ne doit pas vraiment être habituée, donc bon.

Keith attrape la bouteille que j'agite devant ses yeux, la rangeant dans le réfrigérateur avec celle qu'il tenait dans les mains, qui est d'ailleurs presque vide. Quand j'y pense, il aurait pu m'attendre. Depuis quand on commence à boire sans les autres ? Tsuh. Qu'est-ce t'as fait, toi ? Non mais moi j'étais chez moi. Il est chez lui. Tu me casses ce que je n'ai pas, toi.

T'aurais pas dû venir, Indiana. Si. Non, ça va recommencer, tu vas encore souffrir, vous allez encore vous faire du mal. Tout recommencer ne vous mènera qu'à ça. Sauf que cette fois-ci, Indiana, t'as un mari. S'il voit que tu as des marques sur le corps, des bleus ou je ne sais quoi d'autre, il se posera des questions, forcément. Tu te souviens comment ça a fini avec Jake ? Tu t'étais bien écorchée, t'as encore la cicatrice, au niveau de tes côtes, sous ton tatouage. Je sais. J'avais 17 ans. J'en ai 24. Et t'es toujours aussi inconsciente, apparemment. Et si vous restiez seulement des connaissances ? Impossible. Quand je le vois, si je m'approche un peu trop, s'il me frôle, tout redevient comme avant, et je ne peux m'empêcher de m'en approcher encore. Je le hais, mais il m'attire. Et je peux rien y faire, c'est ça le pire.

Keith me prend la veste des mains, et la pose sur un ventilateur, délicatement. Bien, merci. Je croise les bras, mes bracelets s'entrechoquent, et je baisse rapidement les yeux vers mes mains. Je l'ai enlevée. Elle est posée sur la commode, dans la chambre. Je suis libre. Elle ne sera pas là pour m'arrêter, pour me pourrir la soirée. Je peux faire ce que je veux. Pas trop, Indi. Tu ne pourras pas m'en empêcher, de toute façon. Elle ne me bloquera pas. Elle ne le bloquera pas. C'est tout ce qui importe.

"Avec Aly ? Ouais, en effet, mais elle est de sortie ce soir. Tu m'excuseras d'ailleurs pour l'accueil, on est loin des suites présidentielles des palaces à la française."

Alyssa. Alyssalope, comment ai-je pu oublier le prénom de ma meilleure amie ? De cette fausse blonde de pétasse, ouhla, je ne me reconnais plus. Et je me doute bien qu'elle est partie. Sinon elle aurait déjà pointé sa face de censuré décolorée, je suis sûre. Et j'ai bien vu, que ce n'était pas vraiment le genre de lieux que j'ai l'habitude de fréquenter. Fais gaffe à tes Louboutins, Indi. Tu te répètes. C'est pour être sûre que tu fasses attention. Une paire de chaussures à plus de 900$, c'est pas donné. Tss.

- Je vois ça.

Je recule de quelques pas avant de me retourner, pour sortir de la pièce. Il fait vraiment chaud, à l'intérieur. Dehors, l'air s'est rafraîchi, mais ça fait du bien, il n'y a pourtant pas de courants d'air. Je me demande vraiment comment il fait pour dormir là dedans. Peut-être parce qu'il ne dort pas. Bien sûr, c'est Dracula. Humhum. Tais toi.

- Donc t'as réussi à te débarrasser de ta "Aly". Ah, mais suis-je bête, c'est vrai qu'elle embauche le soir, elle. Pardon, excuse-moi, j'avais oublié.

Je m'appuie à la barrière, les bras croisés, toujours face à Keith, avec un léger sourire. Indi. C'était vraiment obligatoire ? Bien sûr. Sinon je ne l'aurais pas fait, tu me connais.

Indiana sort de la pièce. Elle a certainement trop chaud. Elle ne doit pas avoir l'habitude de vivre sans climatiseur, ce doit être perturbant. Je la rejoins alors à l'extérieur, sur le petit balcon, tandis qu'elle s'adosse à la barrière et croise les bras, le sourire aux lèvres. L'air y est un peu plus frais, ce n'est franchement pas désagréable avec cette température. Au contraire, ça change de la chaleur presque étouffante de l'intérieur de la chambre. C'est bien pour ça que j'ai passé tout le début de soirée sur ce balcon, ce n'est pas le grand luxe, mais on y est tout à fait à son aise.


J'ai raison, elle avait juste oublié son prénom. La voilà qui repart de plus belle sur ma pauvre copine. C'est dommage qu'elle le prenne ainsi. Aly est, certes, quelque peu inutile, quelque peu vulgaire également, voire provocante, mais elle ne fait rien de mal. Enfin, je suppose. En fait, j'ignore totalement ce qu'elle fait en mon absence, et c'est très bien comme ça. Puisqu'elle non plus ne connait que peu de mes activités sans elle. En fait, vivre dans le déni et l'ignorance de l'autre, ça peut parfois avoir du bon. Si on savait tout l'un de l'autre, il y aurait bien longtemps que je dormirais seul la nuit.

Suite à la remarque de la brune, je soupire un instant, pour montrer mon agacement. Je me passerais bien de ses commentaires. Mais bon, c'est aussi ce qui fait le caractère, et par conséquent le charme, d'Indi Jolie. Je lui réponds donc par un sourire tout aussi léger et narquois que le sien, tout en m'appuyant à mon tour à la barrière, juste à côté d'elle.

- Tu serais pas un peu jalouse, par hasard ?, je demande de manière faussement anodine. C'est juste une question au hasard, hein.

Je plonge mon regard dans ses yeux pour déceler mensonge ou vérité dans sa réponse. Je pourrais déceler une once de bluff dans une mare de sincérité, à force d'avoir côtoyé des hypocrites. Autant dire qu'au poker, je suis imbattable. (tout est dit ~)

Keith me suit dehors, finissant par s'appuyer à la barrière du balcon, juste à côté de moi. Je tourne les yeux vers lui, ne lâchant pas mon horrible sourire de peste pour autant. Il y répond par un sourire à son tour, tout aussi insupportable que le mien. Sourire qui me donne autant envie de lui en coller une que de l'attraper par le col de son haut et de l'embrasser. Mais on contrôle ces vilaines pulsions, et on essaie de rester bien calme, car il n'y a rien de plus énervant qu'une personne calme en face de soi.

"Tu serais pas un peu jalouse, par hasard ? C'est juste une question au hasard, hein."

Je serre les dents, gardant le sourire. Je ne suis pas jalouse. Indiana, morte de jalousie ? Dans vos rêves les plus fous, et encore. Je ne serais jamais jalouse d'une meuf de Keith, y a pas de quoi, honnêtement. Et je vois pas l'intérêt d'être jalouse. Ça n'avance à rien, ça ne mène à rien, et ça ne me rendra pas les 5 années perdues sans lui. Haha, lourde blague. Bien sûr que oui, j'en crève, de jalousie. Et c'est horrible. C'est pire que tout, ça fout tout en l'air, ça te brûle de l'intérieur. Je veux massacrer toutes les pétasses qu'il fréquente, leur faire avaler leur perruque et leur tenue de trottoir, les jeter du haut d'un immeuble de 20 étages. Mais pourtant, qu'est-ce que je le hais. Je ne le supporte pas. Je n'aime pas Keith. Mais c'est physique. Il m'attire. Trop. C'est mon corps qui l'aime, et certainement pas moi. Y a des fois, je pourrais le balancer de l'immeuble avec ses salopes. Bizarre, hein. Non, incompréhensible. Je n'y comprends rien moi-même, alors le reste de la population...

Son regard croise le mien et s'y ancre. Ne pas détourner les yeux, ce serait avouer sa faiblesse, lui montrer qu'il a raison, et donc, perdre. Et s'il y a bien une chose dont j'ai horreur, c'est la défaite. Et encore plus perdre contre Keith. C'est mon pire ennemi. S'il gagne, il me prend une partie de mon territoire, et je reculerai. Plus je recule, plus je m'approche du ravin. Et là c'est la chute. Et je ne veux en aucun cas arriver à ce stade là. Que lui tombe, je m'en fous. Mais qu'il ne me fasse pas tomber, c'est un coup à ce que je l'entraîne avec moi. Mais je n'ai pas forcément besoin de tomber, pour l'entraîner avec moi. Ça, c'est bon.

- Moi, jalouse d'une pétasse blonde ? Plutôt crever, chéri.

Je soutiens son regard encore quelques temps, me redressant, pour me grandir. Mon grand mètre 85 avec talons paraît presque minuscule, à côté du très bon mètre 90 de Keith. Sa pétasse doit être plus petite encore. Ça doit être compliqué de vivre avec une naine toute déformée.

- Mon pauvre petit ange, n'y crois pas trop, quand même.

Mon sourire s'agrandit, et je viens pincer sa joue, comme on pince la joue d'un drôle. Faut absolument que je trouve où il cache ses conneries. De toute façon, mes doigts arriveront à trouver le chemin tout seuls. Ils adorent jouer à ça. Ça tombe bien, moi aussi. Il me faut juste quelques minutes d'inattention de la part de Keith et ses merdes auront disparu.

Indiana ne perd pas son sourire de chieuse face à ma question. Elle ne détourne pas non plus le regard. Néanmoins, je relève une légère contraction de sa mâchoire, qui me permet d'affirmer qu'elle ment. Ou en tous cas, qu'elle ne dit pas franchement la vérité. De plus, le "pétasse blonde" montre bien qu'elle est agacée par mon interrogation et que, finalement, elle n'est pas si indifférente au fait que je ne sois pas tout à fait célibataire. Sinon, elle aurait pu se contenter d'un simple "non", ç'aurait été largement suffisant. En gros, elle s'est grillée toute seule.

Elle me conseille ensuite de ne pas trop y croire, "mon pauvre petit ange", tout en me pinçant la joue comme on pince celle d'un gamin trop mignon. Je lâche un léger rire. Je sais pertinemment qu'elle me ment, mais que pour rien au monde elle l'avouerait. Elle est tenace, cette Indi. Elle ne montrera jamais ses faiblesses ; ou alors, ce sera un cas totalement exceptionnel. Comme cette fameuse soirée qu'on avait terminée dans ma chambre d'internat, où elle m'avait raconté son histoire avec ce gros con. Jake. On aurait dit une toute autre personne à cet instant, plus sensible, plus fragile. Loin de la carapace qu'elle s'est forgée. C'était une atmosphère très particulière ce soir là, mais pas déplaisante pour autant. Bien au contraire, même.

Elle s'est redressée face à moi, pour me prouver qu'en aucun cas je suis supérieur à elle. T'inquiète pas, je ne le sais que trop bien. A force, j'ai fini par comprendre, que même si on cherche, l'un comme l'autre, à avoir le dessus sur son interlocuteur, on n'y arrivera jamais. On est définitivement parfaitement égaux. Dans le jeu du "qui remportera le plus de victoires", on a toujours fini ex-æquo, ce n'est pas aujourd'hui que les choses vont changer. Mais ce n'est pas pour autant qu'on va arrêter d'y jouer, huhu.

J'attrape alors fermement son avant-bras et l'éloigne de ma joue pour qu'elle ne la pince plus.

- Permets-moi d'affirmer le contraire, Indi Jolie, je lui réponds sans lâcher mon sourire.


[c'est court mais c'est pour vite changer d'ordi ~]

"Permets-moi d'affirmer le contraire, Indi Jolie."

Keith a attrapé mon avant-bras, l'éloignant de lui pour que j'arrête de le pincer. J'obéis, docile. Soyons coopérative, pour le moment. Même si à ce moment-même, j'aurais voulu lui arracher la joue si ça avait été possible. Rien que pour ôter ce vilain sourire de ses lèvres. Tu as tout faux. Tu devrais avoir tout faux. Et je veux que ce soit ce à quoi tu crois. Que je me fiche totalement de ta censuré blonde des caniveaux. Mais pour ça, il faudrait que je sois dix milles fois plus calme et détendue, et que tu ne me connaisses pas aussi bien. Enfin. On ne se connait pas. On ne s'est jamais connu. Mais pourtant, on sait tout des réactions de l'autre. Et c'est ça, qui fait qu'en ce moment, il sait que je ne dis pas la vérité.

Je tire sur mon bras, pour qu'il me lâche, avant de croiser de nouveau les bras. La lumière du lampadaire derrière lui s'affaiblit peu à peu, il grésille un instant, avant de s'éteindre totalement. Obscurité totale. Effectivement, ce n'est franchement pas le luxe ici. Motel malsain, quartier peu fréquentable, personnes peu recommandables, drogues et alcools, il manquait plus que toutes les lumières ne s'éteignent. Parfait. On est pile dans le délire. Et moi, je suis qui ? La pauvre princesse qui s'est perdue au pays des ténèbres en venant rechercher son horrible péché. C'est bon, on l'a, notre conte de fée moderne.

Je réussi à peine à distinguer les prunelles bleues de Keith. Le ciel auparavant dégagé vient de se couvrir, on voit à peine la lune et quelques étoiles. Je préfère jouer dans le noir, on perçoit à peine les réactions de l'autre, c'est beaucoup plus intéressant. On va voir qui de nous deux va gagner, à présent. Il a peut-être réussi à déceler la toute petite faille de cet énorme mensonge, mais à présent, il n'y arrivera plus. A mon tour, de gagner une des nombreuses batailles.

Je m'approche de lui, tout près, et baisse la tête, déposant un baiser au creux de son cou.

- On ne t'a jamais dit, que t'étais vraiment plus sexy la bouche fermée, Keith ?, je murmure sèchement.

T'aurais pu t'abstenir. Ça prouve encore un peu plus que tu as menti. Mais non. De toute façon, il le savait déjà, donc après tout, tu fais ce que tu veux. Mais tu t'enfonces un peu plus. Et le contraste était étonnant, entre cette douce attention et ce que tu lui a craché à... La ferme, hein, c'est mieux, toi aussi, quand t'as la bouche fermée. Je m'écarte rapidement, me retournant pour passer la porte, revenant ainsi à l'intérieur.

J'avance jusqu'à l'entrée. J'arrive à atteindre un interrupteur comme par miracle. La lumière est faible et blafarde, mais ce n'est pas bien grave. J'arrive à voir où est le frigo. J'ai soif. Doit pas y avoir de verres ici. Tant pis. J'allais ressortir lorsque quelque chose attire mon attention. Un sachet. Parfait. Jouons, dans le noir, c'est mieux. J'éteins la lumière, avance prudemment vers la pote à Keith, l'attrape et la glisse dans un endroit où elle sera en sécurité. Ou pas. C'est-à-dire, dans mon décolleté. Ça faisait longtemps.

Je repars vers la minuscule terrasse, la bouteille à la main, rejoignant Keith, n'ayant toujours pas quitter mon sourire. T'es définitivement suicidaire. Non, joueuse, c'est différent. Tu joues avec la souffrance. Je sais. Et y a rien de mieux.

- T'as soif, Keith ?

Je lui tends la bouteille. Les nuages ont décidé de se faire la malle. Tant mieux, il fait un peu plus clair.

Indiana tire sur son bras afin que je la lâche, et les croise, comme à son habitude lorsqu'elle est contrariée. Ahah, j'avais raison, j'en étais sûr. Elle ment, elle meurt de jalousie, c'est terriblement bon de le savoir. Pourtant, il n'y a franchement aucune jalousie à avoir à propos d'Alyssa. Elle est très sympa, certes, attachante, mignonne, et tout ce qu'on veut, mais je suis loin, très loin de m'intéresser à elle comme il se doit. Je sais qu'elle m'aime plus que je ne l'aime, enfin je le suppose vu sa manière d'agir avec moi. Et si elle l'apprend un jour, ce serait très douloureux. Pour elle comme pour moi ; mais pas de la même manière. Si elle apprend par exemple qu'au moment où elle est partie bosser, je retrouve la fille que je n'ai jamais réussi à oublier, elle criserait. Pourtant, je l'ai déjà plus ou moins trompée, comme elle l'a déjà plus ou moins fait pour moi. Mais c'étaient, pour ma part, sans grande conséquence, avec des filles que je connaissais à peine et dont je ne me rappelle même plus le nom, c'est dire. Là, c'est différent. Là, ce n'est pas n'importe quelle fille. Là, c'est Indiana. Indi jolie, quoi.

La lumière du lampadaire grésille quelques secondes, pour finalement s'éteindre, nous plongeant alors dans l'obscurité totale. Ce lampadaire, une daube sans nom. Un coup il fonctionne quand on n'en a pas besoin - en plein jour par exemple, utilité extrême n'est-ce pas - un coup il plante juste quand il devient nécessaire. En l'occurrence, juste là, maintenant, alors que je suis face à Indi. Quoique, se retrouver dans le noir peut toujours être amusant, donner une certaine part de mystère à la rencontre. Espérons juste qu'elle ne va pas en profiter pour retourner la chambre à la recherche de dope. En plus j'ai un sachet de MD sur ma commode. Quel con, j'aurais dû le ranger. Si elle tombe dessus, je ne donne pas cher de ma pauvre taz. Ça me ferait bien mal tiens, 70$ balancés par la fenêtre.

Je sens Indi profiter de l'obscurité pour s'approcher de moi, et déposer une bise dans le creux de mon cou, en me lançant un sec "On ne t'a jamais dit, que t'étais vraiment plus sexy la bouche fermée, Keith ?" Je souris à nouveau. Sa remarque ne fait que me conforter dans l'idée qu'elle a menti, que j'ai raison, et que par conséquent, j'ai gagné une petite victoire. Tellement bon.

- Apparemment tu dois être la seule à le penser, puisque t'es la seule à me le dire, je réponds, l'air victorieux.

Elle entre alors dans la chambre à tâtons, et parvient jusqu'à l'interrupteur, qu'elle allume, laissant un néon blafard éclairer faiblement la pièce. Je la regarde qui ouvre le réfrigérateur et en sort sa bouteille. Tant mieux, je commence à avoir un peu soif, à nouveau. Et puis, elle ré-éteint la lumière, restant ainsi quelques secondes dans le noir complet.

- Qu'est-ce que tu fous ?, je demande, intrigué.

Pas de réponses. Les nuages disparaissent petit à petit, il fait alors un peu moins sombre. Indiana ressort enfin, après quelques secondes de silence, la bouteille à la main, me demandant si j'ai soif.

- J'ai toujours soif, je réponds avec un clin d’œil.

Elle me tend la bouteille, que j'attrape. Les deux premières gorgées que j'avale me brulent fermement le gosier. Ça change de la sous-marque que j'achète régulièrement ; chacun ses moyens, quoi. J'en prends une troisième, qui passe plus facilement que les deux premières.

- Tu t'es paumée dans la chambre ou quoi ?, je lui demande alors ironiquement en lui rendant sa bouteille.

La seule à penser que Monsieur est mieux la bouche fermée ? Probablement. Mais Dieu sait qu'il m'agace, lorsqu'il prend son fameux sourire qui donne envie de le baffer, et qu'il prend ce ton moqueur, et qu'il m'appelle comme ça, "Indi Jolie". Ce pauvre surnom qui me brûle la peau remonte à longtemps. A 5 ans, en fait. On rentrait complètement cuits de la soirée de Meredith. Et Keith avait eu le malheur de m'appeler comme ça. Je m'en souviens comme si c'était hier. J'ai horreur des surnoms du genre. "Poupée", "Bébé", "Ma belle", et je passe les plus horribles, ceux qui te hérissent un peu plus le poil. Depuis, j'ai l'habitude, mais ce n'est pas pour ça que je le cautionne. Chaque fois qu'il m’appellera Indi Jolie, je le surnommerai Mon ange. A lui de voir si le deal lui convient.

Lorsque Keith m'a appelée, je n'ai pas répondu. Inutile de lui dire que je lui ai piqué sa copine qui lui fait voir des étoiles, ou des éléphants roses, ou qui produit je ne sais encore quel autre effet. A croire que t'aimes les conflits. Non. J'adore ça. Et c'est en partie à cause de ça, qu'on me prend moitié pour une tarée. Parce que j'apprécie le fait de m'engueuler avec les gens, de leur en décoller une, de les provoquer, les narguer, m'en moquer, jusqu'à ce qu'ils me le fassent payer. Sauf que des fois, ils te font payer cher le fait de t'être engueulé avec eux. Des bleus, des traces, des écorchures, des griffures, des cicatrices. Et pourtant, ce n'est pas pour ça que j'en ai horreur. Voilà, pourquoi on me prend pour une folle. Parce que j'aime ça. Et c'est lui qui m'y a fait reprendre goût. Y a longtemps, encore une fois, la première fois qu'il m'a fait du mal, qu'il m'a broyé les poignets. Evidemment, sur le coup, j'ai mal, je voudrais qu'il me lâche, je peux en pleurer. Mais tout au fond de moi, je veux qu'il serre un peu plus, et qu'après il se fasse pardonner. C'est ça que j'aime, provoquer le conflit, en subir les conséquences, puis essayer de le faire oublier.

Keith attrape la bouteille que je lui tends, me répondant avec un clin d'oeil qu'il a toujours soif. Ben tiens, tant qu'à faire. J'imagine pas ses soirées, à celui-là, s'il a toujours soif. Parait que ça fait pas un très bon mélange, drogue et alcool. J'ose même pas imaginer comment il finit. Et comment il est le lendemain. Je préfère pas, en fait. Il boit deux ou trois gorgées avant de me tendre de nouveau la bouteille, que j'attrape. Je m'appuie de nouveau contre la barrière, croisant les pieds.

"Tu t'es paumée dans la chambre ou quoi ?", fait-il, ironique.

Mon sourire s'étire un peu plus, alors que je porte la bouteille à mes lèvres. S'il savait. C'est aussi petit que la moitié de ma cuisine, je risque pas de m'y perdre. Juste de faire un petit tour, et de voir les coins qui pourraient m'intéresser. Ou les choses. Et, là, en l'occurrence, ce qui m'a intéressée, je l'ai pris. Un sachet de je ne sais trop quoi. Un mauvais truc, une pote à Keith. Comme d'habitude. Ou plutôt, comme j'en avais l'habitude. Aaron est tout ce qu'il y a de plus sage et de plus ennuyant. Il ne fume pas, ne boit pas, parle affaires, famille, conférences, dîners, galas, soirées. C'est un homme d'affaires plein aux as, qui pense au fric, à sa femme, et à ce qu'il fera avec elle dans le futur. Rien de passionnant, en fait. Il ne me fait pas sourire comme je sais le faire, il ne me fait pas frémir. Je ne m'amuse pas avec lui, je m'ennuie. Donc, je n'ai plus l'habitude de m'amuser à ça. J'avais l'habitude, c'est tout. Et je m'apprête à la reprendre.

- Je voulais visiter, c'est tellement grand, je répond sur le même ton.

Je tape mes ongles contre le verre, tournant les yeux vers Keith, ne cessant de sourire. T'es impossible, Indiana. On me le dit souvent. T'aurais pas dû dire ça. Bien sûr, tu voulais que je dise quoi ? "Ofh, non, je te piquais juste une de tes potes. Bon, maintenant qu'elle est cachée, ne la cherche pas trop, une baffe est si vite arrivée." Non, fallait pas que tu lui voles son truc, là. Ce sont mes mains, elles agissent toutes seules. Impossible. Je sais.

Ben tiens, et elle se fout de ma gueule, maintenant. Pour changer. Je sens que cette soirée va mal se terminer. Que l'un comme l'autre allons faire quelque chose que nous allons regretter. Ou alors, que nous ne pourrons jamais oublier. Ou les deux. Peut être. Sûrement. Comme notre première rencontre, dans les rues insalubres des alentours de l'université canadienne dans laquelle nous étudiions tous les deux. Ou encore, lors de cette fameuse soirée d'anniversaire du top model de l'école, qui s'est achevée dans ma chambre d'internat - que je partageais d'ailleurs avec le frère d'Indiana, Logan il me semble ; tant qu'à rester dans l'inoubliable, autant rajouter des détails qui rendaient l'événement encore plus malsain qu'il ne l'était déjà. En fait, chaque souvenir que j'ai créé avec Indiana m'a toujours fait l'effet d'une ancre plongée dans l'océan de mon esprit. Keith et son esprit qui divague aux heures perdues, ouais. Car, même si je voulais les effacer de ma mémoire, ils y sont plantés tellement profondément que j'en serais incapable. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé, durant tout ce temps où je pensais désespérément à elle, sachant pertinemment que je ne la reverrais plus. Qui aurait cru que l'on se retrouverait cinq ans plus tard, en ce début d'été, tous deux casés avec de parfaites erreurs ? Personne. Et surtout pas moi.

Et chaque souvenir que j'ai d'elle ne me rappelle jamais vraiment une pure amitié d'enfants de chœurs. Coups, blessures, cris, larmes, frissons. Et j'en passe. Quand on y pense, à peine la moitié de ce qui nous attire l'un l'autre est franchement agréable. Mais s'il n'y avait que de l'agréable dans notre "relation", elle n'aurait alors plus aucun intérêt. Car c'est justement cette part plus sombre de la "relation" que l'on entretient, qui nous attire à ce point. C'est ce fait d'être parfaitement conscient que ce que l'on fait, c'est mal, que l'on n'en sortira certainement pas indemne, que l'on va en souffrir au point de crier, de se frapper, de se cracher à la gueule. C'est tout ça, qui nous attire l'un vers l'autre, et qui rend cette "relation" aussi complexe qu'unique. Même si c'est douloureux, j'en redemanderai toujours plus. C'est incompréhensible, et indescriptible. Mais c'est tout ça qui me plait autant chez Indiana.

J'attrape la bouteille contre laquelle la brune tapote ses ongles, et m'apprête à boire une nouvelle gorgée, portant le goulot à mes lèvres après avoir répondu :

- Évidemment, et bien sûr je vais te croi...

Je suis alors interrompu par mon téléphone qui sonne. J'entre dans la chambre et le récupère, posé sur le lit.

- Allô ?
- Keeeith, c'est Alyssa à l'appareeeil.

Elle est apparemment très éméchée. Elle a tendance à parler comme une pétasse qui rallonge chaque voyelle, après quelques verres. A vrai dire, je ne suis pas dans un état franchement meilleur actuellement, sauf que je sais encore me contenir et garder une conversation sérieuse au téléphone. Visiblement, elle non.

- J'entends ça, je réponds d'un air méprisant qu'elle ne relève même pas.
- Alors, tu réponds plus à mes messaages ? T'es occupéé ? Tu fous quooi ?, enchaine-t-elle.

J'inspire profondément. Elle ne doit pas s'imaginer une seconde qu'Indi Jolie est à à peine quelques mètres de moi. Ce genre de questions a le don de m'horripiler. Surtout quand je suis obligé de rapidement trouver une excuse bidon.

- Ouais tu m'excuseras, je dormais, j'ai pas entendu, je réponds, convaincu de mon affirmation.
- Ah bon, okok alors, je te laisse, Luke m'appeeelle ! A demaain, je t'aime fort fort ! Gros bisoous !
- Ouais, salut.

J'achève la conversation froidement et raccroche immédiatement. Apparemment, mon excuse bidon s'est avérée crédible. En même temps, dans un tel état, même si je lui avais dit que j'étais parti en excursion à la découverte des pingouins du Sahara, elle aurait été capable de me croire, donc bon. Je jette mon portable sur la table de chevet, et m'assieds au coin du lit, épuisé d'agacement par un appel aussi inutile.