Une fois de plus, j'ai décidé de sécher le cours que je suis censé avoir à cette heure-ci. Ce n'est pas franchement raisonnable, je l'avoue. Mais il faut avouer qu'il n'y a rien de plus ennuyeux que le chapitre que l'on étudie en ce moment en cours d'Histoire Géo. Je préfère encore me promener tout seul pendant une heure plutôt que d'aller m'écraser sur une table en écoutant à peine ce que pourrait raconter notre cher professeur. De plus, je n'ai vraiment, vraiment pas le moral depuis le suicide de Meredith. Je serais carrément à ramasser à la petite cuillère à vrai dire. Au pire, je rattraperai le cours plus tard ; je trouverai forcément un pigeon ou une pigeonne qui me prêtera ses fiches.

Je sors de l'internat et me dirige tranquillement vers la cour. Je profite de l'air extérieur pour allumer une cigarette, histoire de me détendre. Cette dernière est bien agréable mais beaucoup trop rapide à mon goût. Et un peu monotone quand on se retrouve seul. Il faut que je voie du monde, je ne dois pas me morfondre dans la solitude. Ce serait un coup à tomber en dépression et ce n'est absolument pas ma volonté. Il faut absolument que je revoie quelques proches, sinon je sens que je vais péter un câble. Et je refuse que l'on me voie avec une sale tronche de dépressif ; je ne veux pas passer pour un faible.

C'est alors que je me rappelle que le professeur d'économie nous a certifié qu'il afficherait les résultats du dernier devoir à l'entrée de notre salle. Je décide donc d'aller vérifier que j'ai encore une bonne note à afficher dans mon bulletin. De toute façon, je n'ai que ça à faire pour l'instant, autant profiter de mon temps libre. Et ça me remontera peut être un petit peu le moral.

J'entre dans le grand bâtiment et longe nonchalamment le mur jusqu'à la salle d'économie. Les couloirs semblent entièrement vides, à l'exception d'une étudiante, seule, se promenant en regardant les lieux comme si tout ici était nouveau pour elle.

Je passe devant elle, levant la main et lâchant un simple "Salut !" amical, mais plutôt détaché, encore plongé dans mes pensées, me remémorant sans cesse l'agonie de Meredith depuis l'instant même où elle s'est déroulée. Puis, finalement, je réalise que cette fille que je viens de croiser est probablement nouvelle, à en voir son air légèrement perdu et admiratif de la déco de l'UE. Je retourne donc mes talons et m'arrête en sa direction, à deux ou trois mètres d'elle. Elle doit avoir besoin d'aide si elle est nouvelle, et moi j'ai besoin d'être entouré, donc je suppose que l'on tombe finalement assez bien l'un pour l'autre. On verra plus tard, pour la note.

- Tu serais pas nouvelle, par hasard ?, je demande avec un léger sourire.

J'espère qu'elle n'a pas encore vu le panneau d'affichage. Ou alors, qu'elle ne m'a pas reconnu ; mais ça, ça m'étonnerait. Mais je n'ai pas envie que les gens me voient et se disent "Oh regarde, c'est Damon Howard ! Le pauvre, d'après le panneau d'affichage, il est inconsolable depuis depuis que la Kunis a clamsé." Si ce fille prend un air apitoyé pour me répondre, je sens que je vais regretter de lui avoir adressé la parole. Je déteste la pitié.

La fille me rend mon sourire, en confirmant mon hypothèse. Effectivement, elle est nouvelle. Je me trompe rarement sur ce genre de choses, en même temps. Elle me demande alors si c'est si flagrant que ça. Je doute qu'elle apprécierait que je lui dise que ça se voit comme le nez au milieu du visage, à en croire son air légèrement gêné, donc je préfère peser mes mots pour lui répondre. Ce n'est pas franchement dans mes habitudes, je sais. Mais je ne suis pas vraiment d'humeur à faire chier les gens. En quelque sorte, elle a de la chance de me croiser dans de telles circonstances, ahah.

- Ben disons que les gens ici ont plus l'habitude de regarder leurs chaussures en trainant dans les couloirs que de garder un œil vif comme tu le fais, je réponds en reprenant son air hésitant et en y ajoutant un léger rire afin de paraitre le plus sympathique possible.

Toujours est-il que cette fille n'a pas l'air timide ni introvertie, et ne semble pas non plus être une morue exécrable pour autant. Donc je pense qu'elle s'habituera rapidement à l'université et qu'elle se fera rapidement des potes ici. Du moins, c'est tout ce que je lui souhaite.

- Au fait, je m'appelle Damon, je me présente tout en avançant vers elle afin de me retrouver bien en face, plutôt que de garder mes distances éternellement.

La fille se présente à son tour. "Moi c'est Noemie", affirme-t-elle en souriant légèrement. C'est sympa Noemie, comme prénom. Ça sonne bien, et ça lui va bien.

Mais malgré ce sourire, cette Noemie me parait assez tendue. Stressée ? Ce n'est pas impossible. Il n'est pas rare de voir des gens sur les nerfs pour leur rentrée. Peur de ne pas se faire de potes, de se tromper de salle, de se faire une sale réputation dès la première semaine, etc. Pour certains, il y a vraiment de quoi angoisser. Ce n'était pas vraiment mon cas, puisque je suis de nature détendue et sociable, et que je sais pertinemment que j'ai la capacité de me faire des connaissances très rapidement, même dans un endroit que je connais mal. Mais ce n'est pas forcément le cas de tout le monde, effectivement. Néanmoins, Noemie n'a pas pour autant l'air de se préparer à une crise de tétanie due à un stress extrême ; elle parait juste légèrement stressée à l'idée d'intégrer une nouvelle université, en atteste le monologue qu'elle me lâche d'une traite en pleine face.

"Dis, tu pourrais m'indiquer où se trouvent le self et le club de natation ? Oh et, dans quel bâtiment se trouvent quelle matière de cours ? J'aurais dû demander tout ça à la directrice mais j'ai complètement oublié. En fait, c'est pour ça que j'ai l'air un peu perdue, le seul endroit que j'ai repéré ce sont les dortoirs. Et encore c'est parce que j'y ai laissé mes affaires ce matin."

J'écarquille les yeux face à une telle tirade. Elle a l'air marrante, comme fille. Sûrement malgré elle, mais marrante quand même. Sympa, en tous cas. Je ris discrètement alors qu'elle parle et parle et parle.

- Détends-toi !, je lance en riant. Je vais te montrer tout ça si tu veux, y a aucun souci !

J'avance alors vers le prochain couloir menant aux salles de cours, et fais un signe de la tête à la fille afin de lui proposer de me suivre.

Noemie me rattrape, et une fois arrivée à mon niveau, me demande si ça ne me dérange pas, et si je n'avais pas autre chose de prévu à l'origine. Il y avait cette note d'économie que je devais aller vérifier, mais à vrai dire c'était simplement un prétexte pour me promener au lieu d'aller en cours. Mais faire visiter les lieux à une nouvelle, qui plus est franchement jolie, c'est encore mieux. En plus je sais pertinemment que j'aurai encore une note excellente, inutile d'aller vérifier. En d'autres termes : mon but premier va pouvoir attendre.

- Non t'inquiète, rien d'important, fallait juste que je vérifie un truc mais ça attendra sans problème, je réponds en lançant un clin d’œil à mon interlocutrice. Alors, tu me suis ?

J'avance donc dans ce couloir, accompagné par ma nouvelle connaissance. Je lui présente les différentes salles de cours qui lui seront utiles une à une et, une fois la visite du premier bâtiment terminée, nous ressortons dans la cour en direction cette fois-ci de la piscine, prenant soin de passer par le self, comme elle me l'a demandé. Je marque alors une pause pour vérifier que Noemie arrive correctement à se repérer.

- Ça va, tu te perds pas trop ?, je demande, tout sourire.

Noemie me répond que, pour le moment, elle s'en sort, mais qu'elle ne sera pas étonnée si dès demain elle a déjà tout oublié. C'est normal en fin de compte, ça fait ça à tout le monde. Il faut dire que l'UE est super grande, parfois certains nouveaux devraient même s'acheter des GPS tellement ce sont des boulets. J'espère en tous cas pour elle qu'elle parviendra rapidement à s'habituer aux lieux, et même à s'intégrer. Mais je ne me fais pas de souci pour ce second point : elle a en effet l'air d'être relativement sociable, bien que pour l'instant encore un peu stressée.

Puis, sentant un silence arriver, ce genre de blancs de conversation qui met tout le monde généralement bien mal à l'aise, elle entame un nouveau sujet de discussion, me demandant alors si j'ai toujours vécu à Montréal. Le sujet qui fonctionne toujours très bien, qui est efficace, et qui évite les silences pesants. Je n'aurais pas fait mieux !

- Mh non pas vraiment, avant de venir ici j'habitais à Toronto. En fin de compte c'est pas si loin, ça doit faire cinq ou six heures de route en voiture. Mais j'y retourne rarement, je suis tombé amoureux de Montréal entre temps, je réponds, un léger sourire aux lèvres.

Évidemment, j'évite de préciser que je n'y retourne plus depuis que je me suis fait virer de chez moi. Puisque ce n'est pas franchement ma plus grande fierté. Ça craint carrément, même ; c'est d'abord une honte de se faire rejeter à cause de ce que l'on est, mais aussi d'avoir des parents aussi bornés et peu ouverts d'esprit. Peu de gens sont au courant de cette exclusion, et ils sont déjà beaucoup trop nombreux. C'est donc pour ça que je reste plutôt vague sur ce sujet. Je préfère retourner rapidement la question à mon interlocutrice.

- Et toi ?, j'enchaine donc. A entendre ton accent, ça m'étonnerait que tu aies passé toute ta vie ici !

Comme je le pensais, Noemie est anglaise. L'accent est relativement différent du Canadien, ou même de l'Américain en général. "Je sais qu'il n'y a qu'un océan qui sépare les États-Unis de l'Angleterre mais pourtant j'ai l'impression d'être à l'autre bout du monde, principalement à cause du décalage horaire," rajoute-t-elle en souriant. C'est assez normal, à vrai dire. Je suis allé plusieurs fois en Angleterre, et je dois dire que le décalage horaire est vraiment horrible. Et que, comme elle le dit, bien qu'il n'y ait qu'un océan qui sépare les deux continents, on est vraiment dépaysés quand on voyage entre les deux.

Alors que j'ouvre tout juste la bouche pour répondre à mon interlocutrice, la sonnerie retentit, me laissant en pleine réflexion. Soit je retourne en cours, soit je n'y retourne pas. D'un côté, je sais que c'est une matière intéressante qui m'attend ; de plus, ce ne serait franchement pas raisonnable de sécher une heure de plus, sachant que je rate presque tout ces temps-ci. Mais d'un autre, je n'ai pas franchement envie de laisser Noemie en plan : pour une nouvelle, rester seule dans un lieu encore relativement inconnu, malgré la visite que je viens de lui faire faire, risque d'être chaud.

"Je présume que tu dois aller en cours ?" me demande-t-elle.

Pour une fois, je crois que la raison aura raison de moi. Il vaut mieux que je retourne en cours. Je hausse les épaules en guise, et réponds :

- Ouais, je pense qu'il vaut mieux que j'y aille. Mais t'inquiète, je suis sûr que tu vas vite trouver quelqu'un pour te tenir compagnie, y a toujours plein de monde accueillant un peu partout !

Avant que je m'en aille, Noemie me remercie finalement pour la visite, affirmant que si je n'avais pas été là, elle se serait perdue. Je lui rends à nouveau son sourire. C'est normal, en fait. J'aime bien faire visiter les lieux aux gens, en plus de rendre service, je me fais de nouvelles connaissances et je passe le temps. C'est tout bénéf au final.

- De rien, c'est normal, c'était cool !, je lui réponds.

Je sors alors rapidement un cahier et y déchire un morceau de feuille vierge, sur laquelle j'inscris mon numéro, et le tends à Noemie. Mieux vaut avoir un maximum de contacts dans son répertoire, au cas où.

- C'est si jamais tu veux qu'on se revoit, un de ces jours, ça peut être utile, je commente amicalement.

Je m'éloigne finalement, sans oublier de lancer un dernier salut de la main à ma nouvelle rencontre, accompagné d'un "A plus !" enjoué. J'ai pas mal de cours à rattraper maintenant. Enfin, je sais pertinemment que je ne ferai pas la moitié, mais j'aimerais juste me tenir un minimum au courant de ce que je suis censé étudier actuellement, ahah. Je retourne donc dans le bâtiment que nous venions de quitter, et m'apprête à rattraper un peu mon retard.